Qui étiez-vous ? Qui êtes-vous ? Qui serez-vous ? « Je suis » disait le sage… En attendant, déclinaisons dans le temps de votre petite personne, la plus importante au monde, non ?

Et pour peut-être adoucir un peu la nostalgie qui s'installe en vous, je vous soumets en entrée une proposition d'écriture à partager entre amis. Il s'agit de partager vos souvenirs, non par les souvenirs personnels, mais ceux que vous avez en commun, événements historiques, sociaux, culturels… ou objets collectifs, modes… et qui sont maintenant inscrits dans une époque, une culture, l'Histoire. Par exemple, vous vous souvenez, vous, du premier pas sur la lune ? Et des draguées Treets « fond dans la bouche, pas dans les mains », et de l'assassinat du président Kennedy ?

 

Je me souvins…

Il s'agira d'écrire des souvenirs collectifs à la façon d'une note. Vos phrases seront courtes, simples, le style en sera le plus neutre possible et chacune d'entre elles commencera par « je me souviens », à la manière de George Perec, auteur du genre et de cette désormais classique proposition d'écriture. Comme lui, vous pouvez procéder par thèmes pour aider votre mémoire : la nourriture, la politique, le cinéma, la musique…

« Je me souviens des courses en sac.

Je me souviens des soldats de plomb, vraiment de plomb et des soldats de terre.

Je me souviens que les numéros de Peugeot (201, 203, 303, 403, 404, etc.) avaient un sens précis et aussi le numéro des locomotives (par exemple, le pacific 231.

Je me souviens que Louis Malle a commencé sa carrière en tournant Le monde du silence avec le commandant Cousteau.

Je me souviens des boîtes de coco.

Je me souviens quand j'attendais que la cloche sonne la fin de la classe.

Je me souviens quand j'étais louveteau, mais j'ai oublié le nom de ma patrouille.

Je me souviens d'une essence dont le symbole était un cheval ailé, et d'une autre, appelée "Azur"».

Georges Perec, je me souviens, Hachette, coll. Littérature, 1978.

 

Je suis né…

Ce début de phrase, c'est le titre d'un recueil autobiographique de Georges Perec, c'est aussi une autre proposition d'écriture très classique. Il s'agit de commencer par écrire « je suis né… » et de poursuivre au gré de ce qui vient…

« On remarque d'abord qu'une telle phrase est complète, forme un tout. Il est difficile d'imaginer un texte qui commencerait ainsi : je suis né.

On peut par contre s'arrêter dès la phrase précisée.

Je suis né le 7 mars 1936. Point final. En général, on continue. C'est un beau début, qui appelle des précisions, beaucoup de précisions, toute une histoire.»

George Perec, je suis né, Le Seuil, 1990

 

Qui suis-je ?

Eh oui ! qui êtes-vous, au fait, vous qui, je l'espère, écrivez de page en page et de plus en plus aisément votre petit bonhomme de chemin ?

« Je me suis assis sur les marches de San Pietro, et là j'ai rêvé une heure ou deux à cette idée. Je vais avoir cinquante ans, il serait bien temps de me connaître. Qu'ai-je été ? qui suis-je ? En vérité, je serais bien embarrassé de le dire. Je passe pour un homme de beaucoup d'esprit et fort insensible, roué même, et je vois que j'ai été constamment occupé par des amours malheureuses. J'ai aimé éperdument Madame Kubly, Mme de Dipholz, Métilde, et je n'ai point eues, et plusieurs de ces amours ont duré trois ou quatre ans. Métilde a occupé absolument ma vie de 1818 à 1824. Et je ne suis pas encore guéri, ai-je ajouté, après avoir rêvé à elle pendant un gros quart d'heure peut-être. M'aimait-elle ? […] Et menti, dans quel chagrin ne m'a elle pas plongé quand elle m'a quitté ! la j'ai eu un frisson en pensant au 15 septembre 1827 ! Le jour de ce redoutable anniversaire, j'étais à l'île d'Ischia; et je remarquai un mieux sensible : au lieu de songer à mon malheur directement, comme quelque mois auparavant, je ne songeais plus qu'au souvenir de l'état malheureux où j'étais plongé en octobre 1826 par exemple. Cette observation me consola beaucoup. Qu'ai-je donc été ? Je ne le saurais. À quel ami, quelque éclairé qu'il soit, puis-je le demander ? M. di Fiore lui-même ne pourrait me donner d'avis. À quel ami ai-je jamais dit un mot de mes chagrins d'amour ?»

Stendhal, vie de Henry Bruland, Gallimard

 

Le questionnaire de Proust

Remontons le temps : au XIXe siècle, en Angleterre, les jeunes filles de bonne famille raffolaient des carnets de confidences et soumettaient ainsi a leurs proches à une série de questions traitant des gouts et des couleurs à laquelle il fallait répondre par écrit.

Par exemple pour le questionnaire de Proust, connu sous ce nom parce que le célèbre auteur, entre quatorze et vingt et un ans, se prêta au moins deux à trois fois à ce jeu de société.

Il existe plusieurs versions de ce questionnaire, en voici le "classique". Un bon prétexte pour faire partager votre gout de l'écriture aux amis et à la famille : vous pouvez effleurer les réponses ou vous y attarder, c'est selon. Dans tous les cas, c'est un petit jeu d'introspection qui peut nourrir votre matière autobiographique.

Les réponses de Marcel Proust au questionnaire, rédigées aux alentours des années 1889-1890.

 

1

Le principal trait de mon caractère.

Le besoin d'être aimé et, pour préciser, le besoin d'être caressé et gâté bien plus que le besoin d'être admiré.

2

La qualité que je préfère chez un homme.

Des charmes féminins.

3

La qualité que je préfère chez une femme.

Des vertus d'homme et la franchise dans la camaraderie.

4

Ce que j'apprécie le plus chez mes amis.

D'être tendre pour moi, si leur personne est assez exquise pour donner un grand prix à leur tendresse.

5

Mon principal défaut.

Ne pas savoir, ne pas pouvoir « vouloir ».

6

Mon occupation préférée.

Aimer.

7

Mon rêve de bonheur.

J'ai peur qu'il ne soit pas assez élevé, je n'ose pas le dire, j'ai peur de le détruire en le disant.

8

Quel serait mon plus grand malheur ?

Ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère.

9

Ce que je voudrais être.

Moi, comme les gens que j'admire me voudraient !

10

Le pays où je désirerais vivre.

Celui où certaines choses que je voudrais se réaliseraient comme par un enchantement et où les tendresses seraient toujours partagées.

11

La couleur que je préfère.

La beauté n'est pas dans les couleurs, mais dans leur harmonie.

12

La fleur que j'aime.

La sienne- et après, toutes.

13

L'oiseau que je préfère.

L'hirondelle.

14

Mes auteurs favoris en prose.

Aujourd'hui Anatole France et Pierre Loti.

15

Mes poètes préférés.

Baudelaire et Alfred de Vigny.

16

Mes héros dans la fiction.

Hamlet.

17

Mes héroïnes favorites dans la fiction.

Bérénice.

18

Mes compositeurs préférés.

Beethoven, Wagner, Schumann.

19

Mes peintres favoris.

Léonard de Vinci, Rembrandt.

20

Mes héros dans la vie réelle.

M. Darlu, M. Boutroux.

21

Mes héroïnes dans l'histoire.

Cléopâtre.

22

Mes noms favoris.

Je n'en ai qu'un à la fois.

23

Ce que je déteste par-dessus tout.

Ce qu'il y a de mal en moi.

24

Personnages historiques que je méprise le plus.

Je ne suis pas assez instruit.

25

Le fait militaire que j'admire le plus.

Mon volontariat !

26

La réforme que j'estime le plus.

27

Le don de la nature que je voudrais avoir.

La volonté, et des séductions.

28

Comment j'aimerais mourir ?

Meilleur - et aimé.

29

État d'esprit actuel.

L'ennui d'avoir pensé à moi pour répondre à toutes ces questions.

30

Fautes qui m'inspirent le plus d'indulgence.

Celles que je comprends.

31

Ma devise.

J'aurais trop peur qu'elle ne me porte malheur.

 

Le « je » de la vérité

Une autre forme pour accéder à votre identité : non plus celle narrative et chronologique en général de l'autobiographie classique, mais celle d'un dialogue, à la manière de Nathalie Sarraute dans son récit autobiographique, Enfance. Il s'agira de mettre en scène dans une interview imaginaire, et pour ce faire, de procéder à un petit dédoublement de personnalité ponctuel ! D'un côté, le « je » qui interviewe… l'autre « je », c'est-à-dire « vous », une sorte d'affrontement des deux « je » : l'un, manière de conscience qui pousse l'autre à la sincérité, à l'analyse, à la compréhension, à l'introspection. L'autre, le « je » acculé en quelque sorte à la sincérité, ouvert, scrupuleux dans son récit de moments forts, chronologiques ou non, de son enfance. Un dialogue avec vous-même qui devrait osciller entre le jeu de la vérité et celui du cache-cache !

« - Tu n'as pas honte, d'allez regarder ta sœur par le trou de la serrure quand elle se douche ?

- C'est plus fort que moi. Quand elle s'enferme à clé, je la distingue, floue, se déshabiller à travers le verre moulé : une forme rose avec quelques taches sombres. Je ne peux pas m'empêcher. Je n'ai jamais vu de fille nue, j'ai besoin de savoir. D'abord, je vérifie que je suis seul. Je m'avance en rasant les murs du couloir, hors du champ de vision trouble qui, depuis l'intérieur de la salle de bains, passe par la porte vitrée. Mon cœur bat très fort : la peur d'être surpris, la honte par anticipation, l'envie de la voir, tout ça fait un cocktail explosif.

- Et sa chambre ? Tu la zyeutes aussi quand elle est dans sa chambre ?

- Quand elle se déshabille, elle est de l'autre côté du lit, par rapport à l'armoire, je ne vois rien. D'où l'idée de me placer ailleurs.

- quand même, cette idée de perforer son volet avec une petite vrille, c'est du vice !

- C'est discret, personne ne s'en est aperçu. L'inconvénient est que la vue est très limitée. J'arrive souvent à l'apercevoir quand elle ôte son soutien-gorge ou sa culotte et se regarde dans le miroir de l'armoire. Selon ses mouvements, elle passe ou non dans le champ de vision. J'ai beau coller mon œil à droite ou à gauche, c'est pas moi qui décide si je vois ou pas. Et ça m'excite. Je reste longtemps, jusqu'à ce qu'elle éteigne la lumière. Parfois, je suis tellement hors de moi après que, si c'est l'été, je me déshabille et me frotte le corps nu sur le gazon, me branle sous les étoiles et ensemence la terre encore chaude. »

Source : Écrire. Un plaisir à la portée de tous. De Faly Stachack. Ed. Eyrolles.

A lire aussi : Comment réveiller ses souvenirs ?

A lire aussi : Pourquoi écrire une autobiographie ? Formation d'écriture autobiographique

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