Que j’aime à tomber de temps en temps sur des moments agréables de ma jeunesse ! Ils m’étaient si doux ; ils ont été si courts, si rares, et je les ai goûtés à si bon marché ! Ah ! leur seul souvenir rend encore à mon coeur une volupté dont j’ai besoin pour ranimer mon courage, et soutenir les ennuis du reste de mes ans.

(Les Confessions, Paris, Gallimard, 1996, p. 135)

 

Ce chapitre balaiera trois questions, dont les réponses proviennent de différents ouvrages. Nous avons principalement travaillé avec cinq sources : Le récit de vie de Luc Collès et de Jean-Louis Dufays , Le pacte autobiographique de Philippe Lejeune, Autobiographie et réflexivité écrit par un collectif d’auteurs mais dont les textes ont été réunis et présentés par Muriel Molinie et Marie-France Bishop, L’autobiographie de Jacques Lecarme et Éliane Lecarme-Tabone 5 ainsi qu’un article de la revue L’École des Lettres. Les programmes de la FeSec7 ont également été utiles à l’élaboration de ce chapitre.

 

  1. Qu’est-ce que le récit de vie ?

Ce genre littéraire est un genre qui a traversé l'histoire. Du IIe siècle après Jésus- Christ jusqu'à aujourd'hui, le récit de vie a connu de nombreuses formes différentes. Au départ, nous retrouvons deux œuvres majeures  :  Vies des douze Césars de Suétone et Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque. Il s'agit de biographies, qui sont « incontestablement la forme la plus ancienne du récit de vie en Occident  ».

Ce genre poursuivra son chemin de l’Antiquité jusqu'au Romantisme. Les vies d'auteurs occuperont une place plus importante et l'authenticité et la véracité des oeuvres seront primordiales.

De fait, « dans la deuxième moitié du XIXe  siècle, les biographes se soumettront à une méthodologie de plus en plus stricte, recourant aux documents fiables et aux témoignages directs  ». C'est également lors de ce siècle que la biographie connaitra un réel succès, concurrençant d'ailleurs le roman.

Depuis une trentaine d’années, « on assiste [...] à l'éclosion d'une mode, le "biographisme", qui exerce une fascination sans égale tant sur les écrivains que sur les lecteurs».

Gaston Pineau et Jean-Louis  Legrand préfèrent parler d’histoire de vie plutôt que de récit de vie. Selon eux, « l’histoire de vie est définie ici comme recherche et construction de sens à partir de faits temporels personnels, elle engage un processus d’expression de l’expérience  ». Il s’agit d’une définition englobante, qui permet de comprendre l’objectif de tout récit de vie. Elle inclut les histoires écrites et les histoires orales, les différents médias pouvant être utilisés, et « le fait sortir de l’espace à connotation intérieure du moi, elle engage un "être-ensemble" ».

Le récit de vie est un genre multiple, varié et rempli d'explorations didactiques fécondes. En effet, la plupart des enjeux de la parole et de l'écriture, depuis l'angoisse de la quête d'identité jusqu'à l'ivresse de la fonction fabulatrice, la plupart des composantes de la rhétorique et de la poétique, depuis les modalités de l'énonciation jusqu'aux effets de la réception, la plupart des dimensions de l'institution littéraire, depuis le champ de la production et de la diffusion les plus restreintes jusqu'à celui de la production et de la diffusion les plus larges, se rencontrent ici.

De nombreux éléments peuvent donc être travaillés et étudiés avec les élèves de l'enseignement secondaire.

 

  1. Quels sont les différents sous-genres du récit de vie ?

 D'après Collès et Dufays, le récit de vie est un « genre protéiforme  ». Le classement réalisé par ces deux auteurs, sur la base des catégorisations de Claude Abastado, Philippe Lejeune, Georges May et Yves Stalloni, est le suivant : l'autobiographie traditionnelle, l'autobiographie partielle, l'autobiographie poétique, le journal intime, les mémoires, l'autobiographie simulée, les chroniques, le roman autobiographique, les confidences épistolaires, l'autoportrait et l'essai, les récits de vie oraux, la transcription de témoignages oraux et la biographie.

Au sein de la partie expérimentale de ce mémoire, plusieurs sous-genres ont pu être exploités. En effet, nous retrouvons l'autobiographie traditionnelle avec les Confessions de Rousseau, l'autobiographie poétique avec Chêne et chien de Raymond  Queneau,  le journal intime avec Le journal d'Anne  Frank, le roman autobiographique avec À La recherche du temps perdu de Marcel Proust ,  les confidences épistolaires avec Lettre au père de Kafka et la tâche d'un atelier d'écriture, l'autoportrait avec L'âge d'homme de Michel  Leiris, le récit de vie oral avec l'émission Thé ou Café relative à Erik Orsenna, et enfin la biographie, avec plus particulièrement la biographie de presse.

Au sein de la séquence proposée, une attention particulière sera portée sur la lettre autobiographique ainsi que sur l’autoportrait. Il s’agit de sous-genres « faciles » à travailler avec les élèves. En effet, la forme de chacun d’entre eux fournit un premier cadre à l’ensemble de la classe.

Pour qu’une lettre devienne un récit de vie, il faut que la lettre se détache de son destinataire. Ou bien la lettre n’a jamais été envoyée à son destinataire et devient un texte autonome qui ne s’adresse à personne et virtuellement s’adresse au public ;  ou  bien  le rassemblement des lettres d’un même expéditeur constitue un livre dont les destinataires ont été effacés. Afin de représenter au mieux la diversité des genres du récit de vie, voici « La roue de l’autobiographie », proposée dans l’ouvrage de Jacques  Lecarme et d’Éliane Lecarme-Tabone.

 

  1. Comment définir plus particulièrement l'autobiographie et quelles en sont ses fonctions ?

Définir l’autobiographie s’avère une tâche compliquée car on assimile souvent erronément ce genre à celui des « mémoires ». En réalité, il s’agit d’un genre littéraire plus complexe :

ce qu’on appelle l’autobiographie est susceptible de diverses approches : étude

historique, puisque l’écriture du moi qui s’est développée dans le monde occidental depuis le XVIIIe  siècle est un phénomène de civilisation ;  étude psychologique,    puisque    l’acte autobiographique    met en jeu de vastes problèmes, comme ceux de la mémoire, de la construction de la personnalité et de l’auto-analyse.

L'autobiographie est un genre beaucoup plus moderne que la biographie mais quelques œuvres du Moyen Âge pouvaient déjà être considérées comme des autobiographies. En effet,

si elle n'a pris sa forme moderne que depuis deux siècles environ  -  avec les Confessions de Rousseau -, elle existe d'une manière diffuse dès le Moyen Âge : les Confessions de Saint-Augustin, les Vies de Guilbert de Nogent et de Pierre Abélard sont déjà des récits d'écrivains qui se penchent sur leur propre vie.

Au XXe   siècle, de nombreux écrivains s'adonnent à l'exercice de l'autobiographie. On retrouve, par exemple, Si le grain ne meurt d’André Gide, Les mots de Jean-Paul Sartre, Les mots pour le dire de Marie Cardinal, Des clés et des serrures de Michel Tournier, Enfance de Nathalie Sarraute, L'amant de Marguerite Duras, etc. En outre, les écrivains ne sont pas les seuls à écrire leur autobiographie. Effectivement, de plus en plus de « vedettes » comme des hommes politiques, des acteurs ou des chanteurs et des gens « simples   »  décident de partager le témoignage de leur vie avec des lecteurs.

Nous pouvons ensuite relever quelques traits spécifiques à l'autobiographie.

Dans Le récit de vie, Collès et Dufays indiquent : présence du « pacte », focalisation sur le narrateur-héros comme sujet principal du récit, caractère rétrospectif du récit composé par le narrateur pour relier le présent de l'auteur au passé du héros, caractère collectif du destinataire.

Les deux auteurs précisent également qu'on « insistera sur le fait que ces traits correspondent seulement à une forme canonique de l'autobiographie ». Ils sont donc modulables et variables. L'écrivain peut jouer avec ces composantes caractéristiques.

Du point de vue de la définition de l’autobiographie, nous pouvons facilement découper le terme en trois parties : écrire (graphie) sa vie (bio) soi-même (auto), parties aisément identifiables par des élèves de l’enseignement secondaire.

Philippe  Lejeune indique que l'autobiographie est un « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité  ». En proposant cette définition, cet auteur nous invite à analyser quatre angles de vue différents : la forme du langage, le sujet traité, la situation de l’auteur et la position du narrateur.

Néanmoins, cette caractérisation n’est en réalité valable que pour les textes autobiographiques européens du XVIIIe au XXe  siècles. Définir l’autobiographie n’est pas une tâche facile tant les textes appartenant à ce genre sont variés et évolutifs. Les autobiographies d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que celles écrites durant les siècles précédents. Le genre varie et ses critères n’en deviennent que plus souples.

Certains auteurs, tels que le philosophe Georges Gusdorf, vont jusqu’à ne pas accepter l’autobiographie comme un genre littéraire. Selon Gusdorf, « ce type d’écrit n’obéit pas à des règles formelles, mais se caractérise par sa dimension spirituelle (la quête de soi comme condition de son salut) et sa définition est plus ontologique que rhétorique4  ». Dans le présent mémoire, la définition et la vision de Lejeune seront suivies.

Lejeune est d’ailleurs à  l’origine   du « pacte autobiographique », nommé comme tel dans l'ouvrage du même nom, et qui est une composante importante de ce sous-genre du récit de vie. Il permet de donner une idée synthétique du genre autobiographique afin de ne pas multiplier les traits de définition de celui-ci.

La notion de « pacte autobiographique » signifie que pour qu’un récit puisse être qualifié d’autobiographie, l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage doit être commune, discernable, évidente. De fait, « le personnage n’a pas de nom dans le récit, mais l’auteur s’est déclaré explicitement identique au narrateur (et donc au personnage, puisque le récit est autodiégétique) dans un pacte initial ». Le pacte peut également être plus implicite et dispersé au fil du texte.

Au départ de la notion de pacte, le lecteur peut entreprendre un travail d’analyse autour de l’expression de l’identité entre auteur, narrateur et personnage, du récit à la première personne et autour du problème de la ressemblance. Ces différents points peuvent soulever quelques difficultés, qui ont été analysées par Lejeune. En particulier, le lecteur doit être vigilant afin de ne pas confondre l’autobiographie avec le roman autobiographique ou avec la biographie. En effet, c’est par le pacte que l’autobiographie se détache des autres genres liés au récit intime. Si l’on se réfère à la définition proposée par l’auteur, on peut constater que ces sous-genres entretiennent des liens étroits. De fait, le texte doit être principalement un récit, mais on sait toute la place qu’occupe le discours dans la narration autobiographique  ; la perspective, principalement rétrospective :  cela n’exclut pas des sections d’autoportrait, un journal de l’œuvre ou du présent contemporain de la rédaction, et des constructions temporelles très complexes ; le sujet doit être principalement la vie individuelle, la genèse de la personnalité : mais la chronique et l’histoire sociale ou politique peuvent y avoir aussi une certaine place. C’est là question de proportion ou plutôt de hiérarchie : des transitions s’établissent naturellement avec les autres genres de la littérature intime (mémoires, journal, essai) et une certaine latitude est laissée au classificateur dans l’examen des cas particuliers.

Toutefois, « la fidélité au pacte correspond en fait à une forme classique de l'autobiographie, celle qui fut illustrée par Rousseau et Chateaubriand ». En effet, il est nécessaire de préciser que ces quelques critères de définition classiques ne sont pas toujours respectés : les auteurs d'autobiographie s'éloignent de plus en plus de ceux-ci et se les approprient à leur façon. Ainsi,

on s'est aperçu depuis quelque temps qu'une définition stricte de l'autobiographie et de la biographie était de toute manière vouée à l'échec par l'impossibilité qu'il y a de tracer une frontière nette entre le vrai et le fictif, le réel et l'imaginaire.

Enfin, le succès de l'autobiographie    est dû à des motifs particuliers. Effectivement, « l'autobiographe écrit souvent par besoin de se forger une identité, d'exorciser la mort, de ressusciter le passé, de se confesser  - ou à l'inverse de se blanchir face à d'éventuelles accusations, et de témoigner d'une expérience ».

Dans le cadre de ce mémoire, c'est davantage la première fonction qui sera privilégiée.   L'autobiographie permet de poursuivre un sens, de trouver le fil conducteur de sa propre vie. Socrate lui-même parlait déjà de cette recherche, le « connais-toi toi-même » vise en effet à répondre à la question : « comment dois-je vivre ? » […] La méthode consistait à « déshabiller l’âme » – à l’occasion du dialogue – afin de mettre au jour ses croyances, ses raisons, ses engagements et ses résolutions.

Extrait du mémoire : Écrire des récits autobiographiques. Une expérience en sixième année de l’enseignement général. Réalisé par Anne-Sophie Desruelle.

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