LA PLUME DU VIOLON

Je suis nerveuse, la gorge un peu serrée, je ne sais pas ce que je dois faire. Je me demande ce que je fais ici.

Dans quoi me suis-je encore engagé ?

 

Ah oui, il faut appuyer sur le petit bouton, quelqu'un me voit de l'intérieur sans doute, une sonnerie se fait entendre, signal que je peux entrer... Je ne suis pas fluette, et pourtant j'éprouve une certaine difficulté à franchir cette première étape ; ce n'est pas possible : c'est plus lourd qu'une porte d'église ! Je comprends maintenant le sens de l'expression « lourd comme une porte de prison » !

À l'intérieur tout semble vieux et rouillé, pourtant, la prison de Lantin n'est pas si vétuste, elle date de 1979 ! Tout de suite, je suis envahie par une sensation étrange ; une pesanteur semble s'abattre sur moi ; surtout, mon odorat est agressé par un mélange de désinfectant, de moisi, de rouille... et ce n'est que l'entrée !

On me demande ma carte d'identité, que je dois passer par un tiroir métallique qui grince lorsque je le fais coulisser, ensuite on me dit qu'on va me photographier !

J'imagine déjà les photos de repris de justice avec un numéro devant ; je n'ai vraiment pas envie de sourire, lorsqu'on me demande de me placer sur la croix jaune placée au sol et de regarder en l'air !

Voilà qui est fait, je dois porter ce badge bien visiblement afin d'avoir mes entrées dans la prison. Une jeune avocate, dont c'est semble-t-il la première fois aussi, paraît nerveuse, et me demande des renseignements que je ne puis lui donner !

Nous devons passer dans un détecteur, comme à l'aéroport. Pourquoi cela sonne-t-il ? Une boucle de ceinture, un bijou, une pince ? Je me déleste de tout ce qui est métallique, passe et repasse trois fois, cela sonne toujours !

On va croire que j'essaie de passer avec une arme peut-être ?

Enfin, on détermine les coupables : mes chaussures !

Eh oui, cela arrive, je m'en rendrai compte de nombreuses fois par la suite, et à l'avenir, je choisirai les chaussures qui ne sonnent pas !

Heureusement, la prison à penser à tout, et deux paires de pantoufles (des grandes pour les hommes et des petites pour les femmes ; mais avec mon 41, je préfère celle des hommes !) sont à disposition pour parcourir les quelques mètres de carrelage glacial nous permettant de retrouver nos souliers...

Enfin je récupère tout mon matériel et me prépare à affronter ma première journée ou plutôt en soirée, en prison !

Je traverse une immense cour, longée par la fameuse « tour », soit la maison d'arrêt, que j'apprendrai à connaître presque par cœur. Après avoir traversé d'interminables couloirs, le couloir administratif, les parloirs avocat, j'arrive dans un assez surprenant couloir, entièrement décoré de reproductions de Matisse, Magritte, et autres Gaston Lagaffe, là où se trouve un local de kinésithérapeute, l'infirmerie et enfin la salle des rapports.

J'apprendrai plus tard que ces peintures sont l’œuvre d'un détenu artiste qui est resté assez longtemps ici et a mis sa touche. Au fil des années, on repeint régulièrement, mais tout autour des œuvres. Cela donne vraiment une impression bizarre de traverser un couloir entouré de grilles et de barbelés, et en même temps, on dirait que l'on visite une exposition.

Enfin, après avoir ressenti bon nombre d'odeurs différentes, et poussé un nombre indéfini de porte et de grilles, je me trouve enfin dans « mon » bureau ; enfin « mon » est un grand mot, car il s'agit de la salle des rapports, c'est à dire, le bureau où sont appelés les détenus à qui la direction doit annoncer une bonne ou une mauvaise nouvelle (mise au cahot, explication sur la provenance d'objets non admis en cellule, etc.) Ce bureau est libre le soir, ce sera donc là que je vais assurer ma permanence d'écrivain public.

Je ne sais pas combien de temps cela durera, car cette fonction de l'extérieur est nouvelle en prison. Auparavant elle était exercée par un détenu ; je n'imagine sans doute pas alors que je vais venir durant plus de dix ans, à raison de deux soirées par semaine.

Je suis néophyte en la matière, je viens à peine de terminer la formation d'écrivain public et le premier poste que l'on me propose est la prison !

Mais cela me convient, j'ai hâte de voir à quoi ressemble la fonction, que j'ai eu l'occasion d'approcher via mon amie Martine qui exerce ce métier d'écrivain public depuis plus de vingt ans à l'heure d'aujourd'hui.

Beaucoup de personnes ne connaissent pas le métier d'écrivain public, du moins parmi les plus jeunes, car les personnes plus âgées se souviennent peut-être qu'à la Grand Poste de Liège, officiait un écrivain public ; il se tenait sur une estrade, entre deux grandes portes d'entrée et de sortie, et je me rappelle clairement d'une plaquette portant la mention « écrivain public », à côté de laquelle était placée une petite tirelire, où déposer ce que l'on désirait pour le remercier.

Si je me rappelle aussi clairement de cela, c'est que j'y suis allée plusieurs fois pour accompagner ma grand-mère maternelle, qui ne savait ni lire ni écrire. Elle avait commencé à travailler à l'âge de six ans, en vendant des fruits sur le Pont des Arches.

Autre époque, bien sûr, mais il est assez surprenant de constater qu'actuellement, alors que l'enseignement est obligatoire, le taux d'illettrisme est encore si élevé, une personne sur dix en Wallonie (selon un document ministériel édité au forum des écrivains publics à Charleroi en 2010)

Marie-Christine Gengoux

 

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