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Dans l'ombre de Jaoui-Bacri, un autre film français de 2004 tend aux écrivains un miroir plus vrai que nature. Une comédie de mœurs éditoriales qui fait la part belle à l'écriture et à ceux qui la pratiquent.

Vous êtes auteur(e) et vous vous interrogez sur votre pratique de l'écriture ? Il y a fort à parier que vous avez déjà consulté des essais sur le métier d'écrivain, des manuels pratiques ou des témoignages d'auteurs célèbres qui livrent leurs « recettes ». Ou bien vous sentez-vous découragé(e) à l'avance par la froideur de ces débats théoriques ?

Un écrivain autour d'un jeu de roulette est tétanisé par la page blanche

Dans le miroir de la fiction

Pas de panique ! D'autres sources peuvent nous éclairer sur le métier, ou l'art de l'écriture. Moins austère que les essais, mais pas moins riche, la fiction, écrite ou audiovisuelle, permet à l'auteur de se tendre un miroir aux multiples facettes.

Bref, tous ceux et celles qui se passionnent pour l'écriture ont intérêt à se pencher sur les romans, nouvelles et films mettant en scène des auteurs. Chance pour eux, ces dernières années en ont vu une ample moisson. Le premier film de Laurent Tirat, Mensonges et trahisons et plus si affinités, à pour héros un écrivain. Ce fut même l'un des films préférés des Français en 2004.

Le réalisateur est aussi, ce n'est pas un hasard, l'auteur du scénario. Il a été également journaliste au magazine Studio puis lecteur de scénarios à Hollywood. En matière d'écriture, il sait de quoi il parle et la justesse de ton du film n'est sans doute pas étrangère à cette expérience.

Un auteur peut en cacher un autre

Dans cette comédie tendre et grinçante, Raphaël gagne sa vie en écrivant à la place des autres. Quand une célébrité publie son autobiographie chez tel grand éditeur parisien, c'est souvent Raphaël qui la rédige, en enjolivant juste ce qu'il faut. Puis la star signe le livre, devient son « auteur » aux yeux du grand monde; et Raphaël est grassement payé pour se taire.

La peinture du milieu éditorial parisien (on n'ose dire « littéraire ») est dans ce film assez décapante. Ainsi de ces « people », célébrités à l'ego surdimensionné qui cherchent dans la publication d'un livre un supplément de respectabilité, puisqu'en France nul ne peut de dire arrivé s'il n'a pas « écrit un livre » !

L'auteur et éditeur

Une scène fascinante met aux prises l'auteur avec le pouvoir éditorial. Raphaël présente au grand manitou de l'édition le fruit de ses veilles et ses angoisses. Cette fois-ci, il en est sûr, il a écrit un chef-d'œuvre. Mais l'éditeur, au premier abord, n'est guerre impressionné… Il lui fait retravailler son manuscrit jusqu'à parvenir à un texte que lui, l'éditeur, ne rougira pas de publier sous sa marque. Rude apprentissage pour l'auteur, qui se rend compte que savoir aligner des phrases n'est pas suffisant en littérature.

Un petit bémol, tout de même : le passage a manifestement été simplifié, sans doute dans le but de ne pas embrouiller le spectateur pas trop de détails non strictement nécessaires à l'intrigue. Dans le film Raphaël apporte son roman à l'éditeur avec qui il traitait pour ses travaux de nègre. Le réalisateur suggère même implicitement que l'éditeur accepte pour éviter que Raphaël ne révèle au public la vérité sur les livres de star…

Mais il est bien évident que dans le monde réel, ce roman « littéraire » et ambitieux ne serait pas porté sur les fronts baptismaux de l'édition par le même directeur de collection que les « autobiographies » de star destinées aux très grands publics ! Mais passons. Il s'agit de fiction, pas de documentaire.

Les clichés de l'écrivain

On peut aussi sourire au cliché de l'écrivain tourmenté cherchant l'inspiration dans les cigarettes et l'alcool lors des nuits blanches passées à lutter avec le texte rebelle. Les paquets de chips qui s'accumulent et le jeu hypnotique avec le curseur du traitement de texte sont en revanche bien vus !

Dur dur d'être écrivain

Raphaël est bien sur hypersensible au jugement du lecteur. C'est parce qu'il était blessé au vif par le refus opposé à son premier roman que, désespérant de ne jamais parvenir à son but, il a tourné casaque et s'est fait mercenaire de l'écriture. Depuis, il refuse à tous, même à sa petite amie, la lecture de ce manuscrit qu'il garde sous clef comme un vieux remords.

Peut-être un public profane estimerait-il que c’est exagéré, irréaliste. Mais regardons en nous-mêmes, nous qui écrivons… Nous avons tous connu ce genre d'expérience déstabilisante qui nous a conduits à des révisions drastiques de nos ambitions littéraires sinon de notre existence.

Écrire ou agir ?

Auteur raté, Raphaël passe sa vie en marge de lui-même, éternel observateur qui se dérobe à toute action volontaire, évitant même d'exprimer une opinion tranchée. Peut-être est-ce même, dans une certaine mesure, cette mise en veille de son propre égo qui lui permet d'écouter si bien les autres et de restituer leur vie sur papier ?

Au fond, Raphaël semble plus doué pour l'observation que pour l'action. Un trait partagé par bien des auteurs. Tiraillé entre deux femmes comme entre son métier de nègre et sa vocation d'écrivain, il essaie de s'affirmer en imitant le personnage d'un « homme fort » tout droit tiré des clichés de la fiction sentimentale. Et bien sûr, il se plante dans des proportions monumentales !

L'écriture comme remède à l'action

En fin de compte, Raphaël perdra presque tout : ses illusions, ses confortables habitudes, son amour de jeunesse (sauf sa capacité à écrire). C'est seulement à travers l'écriture qu'il parvient à exister par lui-même. Face à la page blanche, il est acteur et non spectateur, et les matériaux de son roman sont puisés dans ses récents déboires d'homme et d'écrivain autant que dans ses années d'observation des autres.

Ce qui est une belle illustration de l'ambiguïté de l'écriture de fiction, qui exige à la fois un effacement de l'auteur derrière son œuvre et une riche expérience personnelle pour nourrir le récit et les personnages inventés. Que des auteurs réels, autour de nous, y réussissent devrait être pour tout débutant un encouragement et une incitation à noircir du papier sans discontinuer.

Irène Delse - écrire et éditer (magazine Cose calcre n°50)

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