Comment, psychologiquement et pratiquement, mettre le point final à son texte ?

« De votre blanche main », comme on dit, vous avez achevé d’écrire au brouillon l’histoire de votre vie. Allez-vous pouvoir « prendre votre retraite » d’écrivain amateur ? Pas tout à fait. Il reste deux choses importantes à faire : psychologiquement, il vous faut assumer ce travail d’écriture – éventuellement, vous réconcilier avec lui, si vous n’êtes pas tout à fait satisfait(e) du résultat obtenu ; et par ailleurs, pratiquement, il vous faut trouver moyen et méthode pour faire parvenir votre texte aux lecteurs auxquels vous le destinez.

Conclusion pratique

Une fois achevée la rédaction de votre texte, vous allez changer de métier : d’écrivain vous allez devenir éditeur, c’est-à-dire vous préoccuper de la réalisation matérielle et la diffusion de votre texte.

Globalement, pour devenir l’éditeur de l’histoire de sa vie, deux stratégies sont possibles :

  • Faire ressembler le plus possible votre texte à un livre imprimé et diffusé commercialement ;
  • Lui laisser au contraire l’apparence d’un écrit personnel.

Analysons d’abord les avantages et les inconvénients de cette seconde hypothèse. Il est extrêmement émouvant de lire les Mémoires de son grand-père (à plus forte raison de son bisaïeul, trisaïeul, votre lointain cousin dont on ignorait même le nom), écrits à la plume sur d’humbles cahiers d’écolier ou sur de luxueux albums reliés en cuir. On pourrait s’inspirer de cet exemple à l’intention de nos propres petits-enfants (arrière-petits-enfants…). Quelques précautions s’imposent cependant pour mener à bien une telle entreprise.

  • Le support matériel doit valoriser votre texte : l'écrit le plus sublime parait fade s'il est calligraphié maladroitement sur un mauvais papier et broché à la diable. Ne lésinez donc pas sur les dépenses de papeterie si vous adoptez cette stratégie artisanale : on trouve par exemple dans le commerce de superbes cahiers reliés en cuir à la façon d'un livre ancien.
  • Assurez-vous que votre écriture est vraiment lisible pour vos lecteurs potentiels : ils se décourageront vite s'ils doivent peiner pour vous « déchiffrer » !
  • Songez aussi que les modes en matière graphique évoluent, d'une génération à l'autre. Telle magnifique écriture d'institutrice, selon les critères d'il y a soixante ans, ne paraît pas forcément agréable au lecteur d'aujourd'hui : « pourquoi tu fais toutes ces queues-de-cochon en dessous des majuscules, Mamy ? »
  • C'est pour une raison analogue que nous sommes un peu réservé à l'égard des histoires de vies, non pas rédigées noir sur blanc, mais enregistrées au magnétophone ou au caméscope. Assurément, dans le principe, le ton de la voix, voire l'image du locuteur donne une « présence » extraordinaire à ce qui est dit. Mais les procédés techniques évoluent vite, et tel outil ultramoderne sur le moment devient inutilisable quelques années plus tard. Nous nous souvenons d'avoir beaucoup « bataillé » pour rendre accessibles les souvenirs d'un vieux médecin, enregistré à l'aide d'un magnétophone à bande, « tournant » à une vitesse aujourd'hui inconnue.
  • Enfin, ayez conscience que la solution « calligraphie » n'est accessible qu'à un seul lecteur à la fois. Elle n'est donc pas à envisager si votre texte est destiné simultanément à plusieurs personnes.

Venons-en à la seconde stratégie de type « éditorial » : réaliser son texte comme un livre imprimé.

  • Un ordinateur permet d'obtenir un texte qui a pratiquement l'apparence de l'imprimé. Les caractères Arial et Times, par exemple, sont également très utilisés dans le monde de l'imprimerie.
  • Comme on le sait, l'imprimante d'un ordinateur permet d'obtenir des copies d'une qualité équivalente au photocopieur. Cette solution est donc préférable à tout autre procédé de reprographie, sauf, évidement, si l'on envisage de réaliser un grand nombre d'exemplaires.
  • Le « scanner », souvent associé aux ordinateurs modernes, permet d'illustrer le texte de reproductions de dessins, photos, cartes, etc. il peut également transférer directement dans l'ordinateur un texte déjà dactylographié ou imprimé, sans qu'il soit besoin de recommencer le travail de dactylographie.
  • Il est conseillé d'éditer son texte à un format de papier qui rappelle celui d'un livre, plutôt qu'en adoptant le classique A4 qui est plutôt utilisé pour la correspondance et les mémoires universitaires. Pour l'histoire de sa vie, on préfèrera donc le format A5 plus courant pour un livre.
  • De même, pour obtenir davantage l'apparence d'un livre, il vaut mieux choisir une reliure par « thermosoudure » (les pages sont collées à chaud sur la tranche) que la reliure en spirale (qui, elle, évoque les mémoires universitaires).
  • Si vous ne disposez pas vous-même d'un ordinateur, vous pouvez moyennant finances, faire « saisir » votre texte par différentes officines de service informatique. La qualité du résultat obtenu mérite souvent ce petit sacrifice financier.

Conclusion psychologique

Venons-en maintenant à l'aspect psychologique, qui sera en même temps le point final de ce syllabus.

Question indiscrète : « vous venez de terminer d'écrire l'histoire de votre vie : êtes-vous satisfait(e) de votre texte ? » Oui ? Tant mieux, il est inutile de lire les lignes qui suivent. Veuillez agréer nos sincères félicitations.

Au contraire, vous n'êtes pas vraiment, ou pas du tout satisfait(e) ? Vous êtes tantôt satisfait(e), tantôt mécontent(e) de votre réalisation la situation n'a rien d'exceptionnel : la plupart des écrivains passent ainsi de l'enthousiasme au dégout à l'égard du livre qu'ils sont en train de rédiger, ou qu'ils viennent d'achever.

En tout cas, quels que soient les symptômes que vous éprouvez à l'égard de votre texte, il existe un traitement efficace, que j'ai souvent prescrit avec succès à mes étudiants. Ajoutons que le médicament n'est pas couteux, qu'il ne comporte pas d'effet secondaire indésirable, que l'on peut, sans risque d'allergie ou d'accoutumance, dépasser la dose prescrite. Il s'agit de la lecture d'une « pièce rose » de Jean Anouilh, intitulée Léocadia[1] : un jeune homme richissime a rencontré au cours d'une soirée mondaine une cantatrice, d'une beauté et d'une intelligence éblouissantes : Léocadia. Hélas ! la diva meurt peu après, dans un accident de la route. Depuis, le garçon est inconsolable et n'a que mépris pour les femmes qui croisent son chemin : elles lui paraissaient bien fades, comparées avec la somptueuse Léocadia ! Pour le guérir de sa dépendance, sa tante finit par découvrir une petite modiste qui, physiquement, ressemble un peu à l'inoubliable Léocadia. Assurément, la jeune fille est bien moins belle, bien moins intelligente, bien moins tout ce qu'on veut, mais elle a sur Léocadia l'immense avantage d'être vivante ! Et l'on devine déjà (c'est une « pièce rose » !) que l'amour sera plus fort que le souvenir mortifère et paralysant !

Il en va de même des textes que l'écrit : en y mettant le point final, on est souvent déçu par la réalisation : elle est tellement moins belle, moins intelligente, moins tout ce que l'on veut que les textes Léocadia qu'on aurait voulu écrire ! Mais du moins, le texte tel qu'il est, avec ses qualités et ses défauts, a-t-il, sur toutes les mirifiques réalisations virtuelles, l'immense avantage d'exister réellement !

Ce qui précède concerne la réalisation de n'importe quel livre : celui, par exemple, dont vous êtes en train de lire les dernières pages ! Dans le cas de l'histoire de sa vie, le problème devient plus complexe, du fait du caractère éminemment personnel d'un tel texte. Et de même qu'un personnage de Camus ne parvient jamais à achever la première phrase du roman qu'il rêve d'écrire depuis toujours, certaines personnes ne parviennent pas à mettre le point final à leurs Mémoires.

La mise en œuvre d'un écrit aussi personnel fait ressentir, en effet, de façon particulièrement aiguë ce qui, dans la réalisation d'un texte plus anodin, se vit sans trop d'états d'âme. Comme on le sait, écrire, parler, composer de la musique, réaliser un tableau ou une sculpture… – faire passer un message, sous quelque forme que ce soit – comporte deux aspects distincts, quoiqu'en interaction constante : l'expression et la communication.

S'exprimer, étymologiquement, c'est « faire sortir (ex) de soi, en pressant (primere) » : on exprime, au sens propre du mot, un citron ou une orange pour faire un jus de fruit ! Et il en va bien ainsi, symboliquement, de l'histoire de votre vie, que vous venez d'écrire. Le texte a jailli de vos souvenirs et de vos sentiments, passés et actuels… Mais, du même coup, il n'est plus « en vous » ! Vous pouvez désormais considérer avec un certain recul ce témoignage de votre vécu, un petit peu, comme si c'était quelqu'un d'autre qui l'avait écrit. C'est la raison pour laquelle on conseille souvent à une personne qui vit une situation difficile (deuil, rupture sentimentale, perte d'emploi…) d'écrire ce qu'elle a vécu et ce qu'elle ressent. En exprimant ces événements douloureux et les sentiments qu'ils lui inspirent, elle peut prendre une certaine distance par rapport à eux, et éviter, comme dit joliment Rousseau, qu'ils ne « fermentent » en elle, et lui « empoisonnent » la vie. La communication, elle consiste à transmettre à d'autres ce que l'on pense, ce que l'on éprouve, etc., et lorsque le message est reçu, il devient bien commun aux récepteurs et à son émetteur !

Écrire l'histoire de sa vie peut être une affaire de communication ou d'expression, ou des deux à la fois, inextricablement mêlées ! Mais, dans un cas comme dans l'autre, la perspective du but à atteindre peut dynamiser le travail de rédaction, tout au long de son déroulement et jusqu'à la dernière minute, qui n'est pas facile à vivre, parfois. Si vous avez écrit l'histoire de votre vie pour communiquer, par exemple à vos petits enfants, à vos amis ou à toute autre personne, c'est à eux qu'il faut songer au moment de mettre le point final en bas de la dernière page. Sans doute le texte n'est-il pas aussi « parfait » que vous l'auriez souhaité, mais il représente pour eux un inappréciable cadeau. Et comme le dit souvent, un présent rend celui qui l'a offert présent à ceux qui en on bénéficié. Cette pensée doit vous motiver pour terminer votre tâche : vos futurs lecteurs ne peuvent attendre « indéfiniment » la livraison de votre texte !

La fonction d'expression est aussi une dimension essentielle dans la rédaction de l'histoire de sa vie. Quand bien même vous décideriez de garder jalousement ce texte pour vous-même et de ne le faire lire à personne, vous n'auriez pas perdu votre temps en l'écrivant. En vous aidant à prendre du recul par rapport à votre vie, le travail d'écriture vous aura aidé – si peut que ce soit – à l'assumer… Et du coup, c'est à vous-même qu'il ne faut pas faire attendre que le texte soit dans un inaccessible état de protection !

Source : Écrire l'histoire de sa vie, Michel Barlow, Chronique sociale.

[1] La Table ronde, 1953 ; Livre de Poche n°846, dans le même volume que le Rendez-vous de Senlis.

 

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