Comment, psychologiquement et pratiquement, mettre le point final à son texte ?

« De votre blanche main », comme on dit, vous avez achevé d’écrire au brouillon l’histoire de votre vie. Allez-vous pouvoir « prendre votre retraite » d’écrivain amateur ? Pas tout à fait. Il reste deux choses importantes à faire : psychologiquement, il vous faut assumer ce travail d’écriture – éventuellement, vous réconcilier avec lui, si vous n’êtes pas tout à fait satisfait(e) du résultat obtenu ; et par ailleurs, pratiquement, il vous faut trouver moyen et méthode pour faire parvenir votre texte aux lecteurs auxquels vous le destinez.

Conclusion pratique

Une fois achevée la rédaction de votre texte, vous allez changer de métier : d’écrivain vous allez devenir éditeur, c’est-à-dire vous préoccuper de la réalisation matérielle et la diffusion de votre texte.

Globalement, pour devenir l’éditeur de l’histoire de sa vie, deux stratégies sont possibles :

  • Faire ressembler le plus possible votre texte à un livre imprimé et diffusé commercialement ;
  • Lui laisser au contraire l’apparence d’un écrit personnel.

Analysons d’abord les avantages et les inconvénients de cette seconde hypothèse. Il est extrêmement émouvant de lire les Mémoires de son grand-père (à plus forte raison de son bisaïeul, trisaïeul, votre lointain cousin dont on ignorait même le nom), écrits à la plume sur d’humbles cahiers d’écolier ou sur de luxueux albums reliés en cuir. On pourrait s’inspirer de cet exemple à l’intention de nos propres petits-enfants (arrière-petits-enfants…). Quelques précautions s’imposent cependant pour mener à bien une telle entreprise.

  • Le support matériel doit valoriser votre texte : l'écrit le plus sublime parait fade s'il est calligraphié maladroitement sur un mauvais papier et broché à la diable. Ne lésinez donc pas sur les dépenses de papeterie si vous adoptez cette stratégie artisanale : on trouve par exemple dans le commerce de superbes cahiers reliés en cuir à la façon d'un livre ancien.
  • Assurez-vous que votre écriture est vraiment lisible pour vos lecteurs potentiels : ils se décourageront vite s'ils doivent peiner pour vous « déchiffrer » !
  • Songez aussi que les modes en matière graphique évoluent, d'une génération à l'autre. Telle magnifique écriture d'institutrice, selon les critères d'il y a soixante ans, ne paraît pas forcément agréable au lecteur d'aujourd'hui : « pourquoi tu fais toutes ces queues-de-cochon en dessous des majuscules, Mamy ? »
  • C'est pour une raison analogue que nous sommes un peu réservé à l'égard des histoires de vies, non pas rédigées noir sur blanc, mais enregistrées au magnétophone ou au caméscope. Assurément, dans le principe, le ton de la voix, voire l'image du locuteur donne une « présence » extraordinaire à ce qui est dit. Mais les procédés techniques évoluent vite, et tel outil ultramoderne sur le moment devient inutilisable quelques années plus tard. Nous nous souvenons d'avoir beaucoup « bataillé » pour rendre accessibles les souvenirs d'un vieux médecin, enregistré à l'aide d'un magnétophone à bande, « tournant » à une vitesse aujourd'hui inconnue.
  • Enfin, ayez conscience que la solution « calligraphie » n'est accessible qu'à un seul lecteur à la fois. Elle n'est donc pas à envisager si votre texte est destiné simultanément à plusieurs personnes.

Venons-en à la seconde stratégie de type « éditorial » : réaliser son texte comme un livre imprimé.

  • Un ordinateur permet d'obtenir un texte qui a pratiquement l'apparence de l'imprimé. Les caractères Arial et Times, par exemple, sont également très utilisés dans le monde de l'imprimerie.
  • Comme on le sait, l'imprimante d'un ordinateur permet d'obtenir des copies d'une qualité équivalente au photocopieur. Cette solution est donc préférable à tout autre procédé de reprographie, sauf, évidement, si l'on envisage de réaliser un grand nombre d'exemplaires.
  • Le « scanner », souvent associé aux ordinateurs modernes, permet d'illustrer le texte de reproductions de dessins, photos, cartes, etc. il peut également transférer directement dans l'ordinateur un texte déjà dactylographié ou imprimé, sans qu'il soit besoin de recommencer le travail de dactylographie.
  • Il est conseillé d'éditer son texte à un format de papier qui rappelle celui d'un livre, plutôt qu'en adoptant le classique A4 qui est plutôt utilisé pour la correspondance et les mémoires universitaires. Pour l'histoire de sa vie, on préfèrera donc le format A5 plus courant pour un livre.
  • De même, pour obtenir davantage l'apparence d'un livre, il vaut mieux choisir une reliure par « thermosoudure » (les pages sont collées à chaud sur la tranche) que la reliure en spirale (qui, elle, évoque les mémoires universitaires).
  • Si vous ne disposez pas vous-même d'un ordinateur, vous pouvez moyennant finances, faire « saisir » votre texte par différentes officines de service informatique. La qualité du résultat obtenu mérite souvent ce petit sacrifice financier.

Conclusion psychologique

Venons-en maintenant à l'aspect psychologique, qui sera en même temps le point final de ce syllabus.

Question indiscrète : « vous venez de terminer d'écrire l'histoire de votre vie : êtes-vous satisfait(e) de votre texte ? » Oui ? Tant mieux, il est inutile de lire les lignes qui suivent. Veuillez agréer nos sincères félicitations.

Au contraire, vous n'êtes pas vraiment, ou pas du tout satisfait(e) ? Vous êtes tantôt satisfait(e), tantôt mécontent(e) de votre réalisation la situation n'a rien d'exceptionnel : la plupart des écrivains passent ainsi de l'enthousiasme au dégout à l'égard du livre qu'ils sont en train de rédiger, ou qu'ils viennent d'achever.

En tout cas, quels que soient les symptômes que vous éprouvez à l'égard de votre texte, il existe un traitement efficace, que j'ai souvent prescrit avec succès à mes étudiants. Ajoutons que le médicament n'est pas couteux, qu'il ne comporte pas d'effet secondaire indésirable, que l'on peut, sans risque d'allergie ou d'accoutumance, dépasser la dose prescrite. Il s'agit de la lecture d'une « pièce rose » de Jean Anouilh, intitulée Léocadia[1] : un jeune homme richissime a rencontré au cours d'une soirée mondaine une cantatrice, d'une beauté et d'une intelligence éblouissantes : Léocadia. Hélas ! la diva meurt peu après, dans un accident de la route. Depuis, le garçon est inconsolable et n'a que mépris pour les femmes qui croisent son chemin : elles lui paraissaient bien fades, comparées avec la somptueuse Léocadia ! Pour le guérir de sa dépendance, sa tante finit par découvrir une petite modiste qui, physiquement, ressemble un peu à l'inoubliable Léocadia. Assurément, la jeune fille est bien moins belle, bien moins intelligente, bien moins tout ce qu'on veut, mais elle a sur Léocadia l'immense avantage d'être vivante ! Et l'on devine déjà (c'est une « pièce rose » !) que l'amour sera plus fort que le souvenir mortifère et paralysant !

Il en va de même des textes que l'écrit : en y mettant le point final, on est souvent déçu par la réalisation : elle est tellement moins belle, moins intelligente, moins tout ce que l'on veut que les textes Léocadia qu'on aurait voulu écrire ! Mais du moins, le texte tel qu'il est, avec ses qualités et ses défauts, a-t-il, sur toutes les mirifiques réalisations virtuelles, l'immense avantage d'exister réellement !

Ce qui précède concerne la réalisation de n'importe quel livre : celui, par exemple, dont vous êtes en train de lire les dernières pages ! Dans le cas de l'histoire de sa vie, le problème devient plus complexe, du fait du caractère éminemment personnel d'un tel texte. Et de même qu'un personnage de Camus ne parvient jamais à achever la première phrase du roman qu'il rêve d'écrire depuis toujours, certaines personnes ne parviennent pas à mettre le point final à leurs Mémoires.

La mise en œuvre d'un écrit aussi personnel fait ressentir, en effet, de façon particulièrement aiguë ce qui, dans la réalisation d'un texte plus anodin, se vit sans trop d'états d'âme. Comme on le sait, écrire, parler, composer de la musique, réaliser un tableau ou une sculpture… – faire passer un message, sous quelque forme que ce soit – comporte deux aspects distincts, quoiqu'en interaction constante : l'expression et la communication.

S'exprimer, étymologiquement, c'est « faire sortir (ex) de soi, en pressant (primere) » : on exprime, au sens propre du mot, un citron ou une orange pour faire un jus de fruit ! Et il en va bien ainsi, symboliquement, de l'histoire de votre vie, que vous venez d'écrire. Le texte a jailli de vos souvenirs et de vos sentiments, passés et actuels… Mais, du même coup, il n'est plus « en vous » ! Vous pouvez désormais considérer avec un certain recul ce témoignage de votre vécu, un petit peu, comme si c'était quelqu'un d'autre qui l'avait écrit. C'est la raison pour laquelle on conseille souvent à une personne qui vit une situation difficile (deuil, rupture sentimentale, perte d'emploi…) d'écrire ce qu'elle a vécu et ce qu'elle ressent. En exprimant ces événements douloureux et les sentiments qu'ils lui inspirent, elle peut prendre une certaine distance par rapport à eux, et éviter, comme dit joliment Rousseau, qu'ils ne « fermentent » en elle, et lui « empoisonnent » la vie. La communication, elle consiste à transmettre à d'autres ce que l'on pense, ce que l'on éprouve, etc., et lorsque le message est reçu, il devient bien commun aux récepteurs et à son émetteur !

Écrire l'histoire de sa vie peut être une affaire de communication ou d'expression, ou des deux à la fois, inextricablement mêlées ! Mais, dans un cas comme dans l'autre, la perspective du but à atteindre peut dynamiser le travail de rédaction, tout au long de son déroulement et jusqu'à la dernière minute, qui n'est pas facile à vivre, parfois. Si vous avez écrit l'histoire de votre vie pour communiquer, par exemple à vos petits enfants, à vos amis ou à toute autre personne, c'est à eux qu'il faut songer au moment de mettre le point final en bas de la dernière page. Sans doute le texte n'est-il pas aussi « parfait » que vous l'auriez souhaité, mais il représente pour eux un inappréciable cadeau. Et comme le dit souvent, un présent rend celui qui l'a offert présent à ceux qui en on bénéficié. Cette pensée doit vous motiver pour terminer votre tâche : vos futurs lecteurs ne peuvent attendre « indéfiniment » la livraison de votre texte !

La fonction d'expression est aussi une dimension essentielle dans la rédaction de l'histoire de sa vie. Quand bien même vous décideriez de garder jalousement ce texte pour vous-même et de ne le faire lire à personne, vous n'auriez pas perdu votre temps en l'écrivant. En vous aidant à prendre du recul par rapport à votre vie, le travail d'écriture vous aura aidé – si peut que ce soit – à l'assumer… Et du coup, c'est à vous-même qu'il ne faut pas faire attendre que le texte soit dans un inaccessible état de protection !

Source : Écrire l'histoire de sa vie, Michel Barlow, Chronique sociale.

[1] La Table ronde, 1953 ; Livre de Poche n°846, dans le même volume que le Rendez-vous de Senlis.

Que j’aime à tomber de temps en temps sur des moments agréables de ma jeunesse ! Ils m’étaient si doux ; ils ont été si courts, si rares, et je les ai goûtés à si bon marché ! Ah ! leur seul souvenir rend encore à mon coeur une volupté dont j’ai besoin pour ranimer mon courage, et soutenir les ennuis du reste de mes ans.

(Les Confessions, Paris, Gallimard, 1996, p. 135)

 

Ce chapitre balaiera trois questions, dont les réponses proviennent de différents ouvrages. Nous avons principalement travaillé avec cinq sources : Le récit de vie de Luc Collès et de Jean-Louis Dufays , Le pacte autobiographique de Philippe Lejeune, Autobiographie et réflexivité écrit par un collectif d’auteurs mais dont les textes ont été réunis et présentés par Muriel Molinie et Marie-France Bishop, L’autobiographie de Jacques Lecarme et Éliane Lecarme-Tabone 5 ainsi qu’un article de la revue L’École des Lettres. Les programmes de la FeSec7 ont également été utiles à l’élaboration de ce chapitre.

 

  1. Qu’est-ce que le récit de vie ?

Ce genre littéraire est un genre qui a traversé l'histoire. Du IIe siècle après Jésus- Christ jusqu'à aujourd'hui, le récit de vie a connu de nombreuses formes différentes. Au départ, nous retrouvons deux œuvres majeures  :  Vies des douze Césars de Suétone et Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque. Il s'agit de biographies, qui sont « incontestablement la forme la plus ancienne du récit de vie en Occident  ».

Ce genre poursuivra son chemin de l’Antiquité jusqu'au Romantisme. Les vies d'auteurs occuperont une place plus importante et l'authenticité et la véracité des oeuvres seront primordiales.

De fait, « dans la deuxième moitié du XIXe  siècle, les biographes se soumettront à une méthodologie de plus en plus stricte, recourant aux documents fiables et aux témoignages directs  ». C'est également lors de ce siècle que la biographie connaitra un réel succès, concurrençant d'ailleurs le roman.

Depuis une trentaine d’années, « on assiste [...] à l'éclosion d'une mode, le "biographisme", qui exerce une fascination sans égale tant sur les écrivains que sur les lecteurs».

Gaston Pineau et Jean-Louis  Legrand préfèrent parler d’histoire de vie plutôt que de récit de vie. Selon eux, « l’histoire de vie est définie ici comme recherche et construction de sens à partir de faits temporels personnels, elle engage un processus d’expression de l’expérience  ». Il s’agit d’une définition englobante, qui permet de comprendre l’objectif de tout récit de vie. Elle inclut les histoires écrites et les histoires orales, les différents médias pouvant être utilisés, et « le fait sortir de l’espace à connotation intérieure du moi, elle engage un "être-ensemble" ».

Le récit de vie est un genre multiple, varié et rempli d'explorations didactiques fécondes. En effet, la plupart des enjeux de la parole et de l'écriture, depuis l'angoisse de la quête d'identité jusqu'à l'ivresse de la fonction fabulatrice, la plupart des composantes de la rhétorique et de la poétique, depuis les modalités de l'énonciation jusqu'aux effets de la réception, la plupart des dimensions de l'institution littéraire, depuis le champ de la production et de la diffusion les plus restreintes jusqu'à celui de la production et de la diffusion les plus larges, se rencontrent ici.

De nombreux éléments peuvent donc être travaillés et étudiés avec les élèves de l'enseignement secondaire.

 

  1. Quels sont les différents sous-genres du récit de vie ?

 D'après Collès et Dufays, le récit de vie est un « genre protéiforme  ». Le classement réalisé par ces deux auteurs, sur la base des catégorisations de Claude Abastado, Philippe Lejeune, Georges May et Yves Stalloni, est le suivant : l'autobiographie traditionnelle, l'autobiographie partielle, l'autobiographie poétique, le journal intime, les mémoires, l'autobiographie simulée, les chroniques, le roman autobiographique, les confidences épistolaires, l'autoportrait et l'essai, les récits de vie oraux, la transcription de témoignages oraux et la biographie.

Au sein de la partie expérimentale de ce mémoire, plusieurs sous-genres ont pu être exploités. En effet, nous retrouvons l'autobiographie traditionnelle avec les Confessions de Rousseau, l'autobiographie poétique avec Chêne et chien de Raymond  Queneau,  le journal intime avec Le journal d'Anne  Frank, le roman autobiographique avec À La recherche du temps perdu de Marcel Proust ,  les confidences épistolaires avec Lettre au père de Kafka et la tâche d'un atelier d'écriture, l'autoportrait avec L'âge d'homme de Michel  Leiris, le récit de vie oral avec l'émission Thé ou Café relative à Erik Orsenna, et enfin la biographie, avec plus particulièrement la biographie de presse.

Au sein de la séquence proposée, une attention particulière sera portée sur la lettre autobiographique ainsi que sur l’autoportrait. Il s’agit de sous-genres « faciles » à travailler avec les élèves. En effet, la forme de chacun d’entre eux fournit un premier cadre à l’ensemble de la classe.

Pour qu’une lettre devienne un récit de vie, il faut que la lettre se détache de son destinataire. Ou bien la lettre n’a jamais été envoyée à son destinataire et devient un texte autonome qui ne s’adresse à personne et virtuellement s’adresse au public ;  ou  bien  le rassemblement des lettres d’un même expéditeur constitue un livre dont les destinataires ont été effacés. Afin de représenter au mieux la diversité des genres du récit de vie, voici « La roue de l’autobiographie », proposée dans l’ouvrage de Jacques  Lecarme et d’Éliane Lecarme-Tabone.

 

  1. Comment définir plus particulièrement l'autobiographie et quelles en sont ses fonctions ?

Définir l’autobiographie s’avère une tâche compliquée car on assimile souvent erronément ce genre à celui des « mémoires ». En réalité, il s’agit d’un genre littéraire plus complexe :

ce qu’on appelle l’autobiographie est susceptible de diverses approches : étude

historique, puisque l’écriture du moi qui s’est développée dans le monde occidental depuis le XVIIIe  siècle est un phénomène de civilisation ;  étude psychologique,    puisque    l’acte autobiographique    met en jeu de vastes problèmes, comme ceux de la mémoire, de la construction de la personnalité et de l’auto-analyse.

L'autobiographie est un genre beaucoup plus moderne que la biographie mais quelques œuvres du Moyen Âge pouvaient déjà être considérées comme des autobiographies. En effet,

si elle n'a pris sa forme moderne que depuis deux siècles environ  -  avec les Confessions de Rousseau -, elle existe d'une manière diffuse dès le Moyen Âge : les Confessions de Saint-Augustin, les Vies de Guilbert de Nogent et de Pierre Abélard sont déjà des récits d'écrivains qui se penchent sur leur propre vie.

Au XXe   siècle, de nombreux écrivains s'adonnent à l'exercice de l'autobiographie. On retrouve, par exemple, Si le grain ne meurt d’André Gide, Les mots de Jean-Paul Sartre, Les mots pour le dire de Marie Cardinal, Des clés et des serrures de Michel Tournier, Enfance de Nathalie Sarraute, L'amant de Marguerite Duras, etc. En outre, les écrivains ne sont pas les seuls à écrire leur autobiographie. Effectivement, de plus en plus de « vedettes » comme des hommes politiques, des acteurs ou des chanteurs et des gens « simples   »  décident de partager le témoignage de leur vie avec des lecteurs.

Nous pouvons ensuite relever quelques traits spécifiques à l'autobiographie.

Dans Le récit de vie, Collès et Dufays indiquent : présence du « pacte », focalisation sur le narrateur-héros comme sujet principal du récit, caractère rétrospectif du récit composé par le narrateur pour relier le présent de l'auteur au passé du héros, caractère collectif du destinataire.

Les deux auteurs précisent également qu'on « insistera sur le fait que ces traits correspondent seulement à une forme canonique de l'autobiographie ». Ils sont donc modulables et variables. L'écrivain peut jouer avec ces composantes caractéristiques.

Du point de vue de la définition de l’autobiographie, nous pouvons facilement découper le terme en trois parties : écrire (graphie) sa vie (bio) soi-même (auto), parties aisément identifiables par des élèves de l’enseignement secondaire.

Philippe  Lejeune indique que l'autobiographie est un « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité  ». En proposant cette définition, cet auteur nous invite à analyser quatre angles de vue différents : la forme du langage, le sujet traité, la situation de l’auteur et la position du narrateur.

Néanmoins, cette caractérisation n’est en réalité valable que pour les textes autobiographiques européens du XVIIIe au XXe  siècles. Définir l’autobiographie n’est pas une tâche facile tant les textes appartenant à ce genre sont variés et évolutifs. Les autobiographies d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que celles écrites durant les siècles précédents. Le genre varie et ses critères n’en deviennent que plus souples.

Certains auteurs, tels que le philosophe Georges Gusdorf, vont jusqu’à ne pas accepter l’autobiographie comme un genre littéraire. Selon Gusdorf, « ce type d’écrit n’obéit pas à des règles formelles, mais se caractérise par sa dimension spirituelle (la quête de soi comme condition de son salut) et sa définition est plus ontologique que rhétorique4  ». Dans le présent mémoire, la définition et la vision de Lejeune seront suivies.

Lejeune est d’ailleurs à  l’origine   du « pacte autobiographique », nommé comme tel dans l'ouvrage du même nom, et qui est une composante importante de ce sous-genre du récit de vie. Il permet de donner une idée synthétique du genre autobiographique afin de ne pas multiplier les traits de définition de celui-ci.

La notion de « pacte autobiographique » signifie que pour qu’un récit puisse être qualifié d’autobiographie, l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage doit être commune, discernable, évidente. De fait, « le personnage n’a pas de nom dans le récit, mais l’auteur s’est déclaré explicitement identique au narrateur (et donc au personnage, puisque le récit est autodiégétique) dans un pacte initial ». Le pacte peut également être plus implicite et dispersé au fil du texte.

Au départ de la notion de pacte, le lecteur peut entreprendre un travail d’analyse autour de l’expression de l’identité entre auteur, narrateur et personnage, du récit à la première personne et autour du problème de la ressemblance. Ces différents points peuvent soulever quelques difficultés, qui ont été analysées par Lejeune. En particulier, le lecteur doit être vigilant afin de ne pas confondre l’autobiographie avec le roman autobiographique ou avec la biographie. En effet, c’est par le pacte que l’autobiographie se détache des autres genres liés au récit intime. Si l’on se réfère à la définition proposée par l’auteur, on peut constater que ces sous-genres entretiennent des liens étroits. De fait, le texte doit être principalement un récit, mais on sait toute la place qu’occupe le discours dans la narration autobiographique  ; la perspective, principalement rétrospective :  cela n’exclut pas des sections d’autoportrait, un journal de l’œuvre ou du présent contemporain de la rédaction, et des constructions temporelles très complexes ; le sujet doit être principalement la vie individuelle, la genèse de la personnalité : mais la chronique et l’histoire sociale ou politique peuvent y avoir aussi une certaine place. C’est là question de proportion ou plutôt de hiérarchie : des transitions s’établissent naturellement avec les autres genres de la littérature intime (mémoires, journal, essai) et une certaine latitude est laissée au classificateur dans l’examen des cas particuliers.

Toutefois, « la fidélité au pacte correspond en fait à une forme classique de l'autobiographie, celle qui fut illustrée par Rousseau et Chateaubriand ». En effet, il est nécessaire de préciser que ces quelques critères de définition classiques ne sont pas toujours respectés : les auteurs d'autobiographie s'éloignent de plus en plus de ceux-ci et se les approprient à leur façon. Ainsi,

on s'est aperçu depuis quelque temps qu'une définition stricte de l'autobiographie et de la biographie était de toute manière vouée à l'échec par l'impossibilité qu'il y a de tracer une frontière nette entre le vrai et le fictif, le réel et l'imaginaire.

Enfin, le succès de l'autobiographie    est dû à des motifs particuliers. Effectivement, « l'autobiographe écrit souvent par besoin de se forger une identité, d'exorciser la mort, de ressusciter le passé, de se confesser  - ou à l'inverse de se blanchir face à d'éventuelles accusations, et de témoigner d'une expérience ».

Dans le cadre de ce mémoire, c'est davantage la première fonction qui sera privilégiée.   L'autobiographie permet de poursuivre un sens, de trouver le fil conducteur de sa propre vie. Socrate lui-même parlait déjà de cette recherche, le « connais-toi toi-même » vise en effet à répondre à la question : « comment dois-je vivre ? » […] La méthode consistait à « déshabiller l’âme » – à l’occasion du dialogue – afin de mettre au jour ses croyances, ses raisons, ses engagements et ses résolutions.

Extrait du mémoire : Écrire des récits autobiographiques. Une expérience en sixième année de l’enseignement général. Réalisé par Anne-Sophie Desruelle.

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Le choix le plus évident consiste à commencer votre récit par votre naissance et a le terminé à aujourd'hui, c'est-à-dire en suivant un ordre chronologique. Au préalable, nous vous conseillons de déterminer les grandes époques de votre vie et de les noter sur une feuille. Vous établissez ainsi une chronologie de votre vie, comportant les dates et les années des principaux événements qui ont jalonné votre existence. L'idéal serait que cette chronologie tient sur une page. Ainsi, vous aurez non seulement une vue d'ensemble sur votre biographie, mais vous pourrez aussi vous reporter autant de fois que nécessaire à ce précieux document.

Les souvenirs, eux, ne viendront pas de façon chronologique à votre esprit. Un souvenir en appellera un autre, qui lui-même en appellera un troisième et ainsi de suite. Dans un premier temps, écrivez-les telle qui vous vienne, puis réorganisez-les progressivement. Idéale, si vous disposez d'un ordinateur, seraient des créer un document spécialement dédié à votre plan que vous enrichiriez aux furs et à mesure que vos écris avance. Si vous préférez les documents papier, vous pouvez aussi classer vos textes dans des pochettes cartonnées qui porteront par exemple les titres : « avant ma naissance, enfance, mariages et vie de famille, ma mutation, descente aux enfers, etc.

D'autre part, il arrive fréquemment que deux événements se soient déroulés simultanément dans une vie, par exemple, votre carrière professionnelle a pris son envol ou au moment même où vous avez rencontré votre conjoint. Cela peut ne pas avoir de sens de rassembler ces deux faits dans un même chapitre. Aussi, le mieux que vous puissiez faire, c'est de les traiter séparément et par exemple d'en faire des chapitres distincts. Dans ce cas, n'oubliez pas d'écrire un petit bilan de la période que vous venez de raconter à la fin de chaque chapitre. Ainsi, dans l'esprit du lecteur, les deux événements seront plus clairement associés à une même époque.

Un récit chronologique vous semble bien trop long et fastidieux ? Vous manquez de pratiques et par conséquent, vous ne vous sentez pas capable d'aller au bout du projet, cela se comprend aisément. Mais là encore, rassurez-vous, il existe bien d'autres façons de procéder ! Par exemple, vous pouvez très bien choisir de ne recouvrir qu'un épisode où une partie de votre existence ? Ou encore, proposer une galerie de portraits, et consacrer, par exemple, un chapitre à votre grand-mère Jeanne, à votre oncle Joseph ou encore à votre soeur Louise. Ou encore d'écrire des lieux associés à des souvenirs marquants : la maison de votre grand-mère, une vieille grange, une ville où vous aviez l'habitude de passer vos vacances, un pays, un paysage, etc. Votre lecteur vous remerciera de ce choix, car il pourra, à sa guise passée d'un chapitre à l'autre, sans se sentir obligé de lire votre ouvrage en entier.

Je vous concède : trouver une structure cohérente pour un écrivain n'est pas une mince affaire. Il faut accepter de bafouiller, si j'ose dire, d’hésiter, de se reprendre, d'effacer un paragraphe pour le réécrire, de changer des mots ou d'inverser des chapitres. D'ailleurs, si vous avez un jour l'occasion de voir des pages manuscrites d'écrivains célèbres, vous serez rassuré en découvrant leurs nombreuses ratures !

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Les fondations, la collecte des souvenirs

Souvent, les personnes ont du mal à se rappeler avec précision les différentes étapes qu'elles souhaitent transcrire. Elles pensent qu'il est difficile de se souvenir de tous :

  • Comment faire ?
  • Il y a trop de choses.
  • Tout me semble confus.
  • Je n'y arriverai pas… 

Pour rédiger ses souvenirs, il faut, bien sûr, en avoir, le plus possible et surtout les plus détaillés possible. Alors, comment amorcer le processus de réminiscences ?

Il existe plusieurs façons de réveiller sa mémoire (seul ou avec l'aide de son entourage, par la méthode écrite ou verbale, par des monologues ou par des conversations avec les intéressés), vous pouvez les essayer toutes, en choisir une ou bien les combiner.

Tout est bon pour réussir à rouvrir les tiroirs les plus enfouis de sa mémoire. Voici une liste non exhaustive des voies à explorer :

Votre enfance

  • Où, quand et dans quelles conditions s'est déroulée votre enfance ?
  • Où habitez-vous, dans quel type de logement ?
  • Quel était votre cadre de vie à cette époque ?
  • Quels ont été les faits marquants ?
  • Que pouvez-vous dire à propos de vos parents, frères, sœurs, et amis, etc. ?
  • Avez-vous des souvenirs de l'école maternelle, primaire ?

Votre adolescence

  • Comment s'est passée votre période d'adolescence ?
  • Quels ont été vos amis, les influences, vos études, vos occupations, vos centres d'intérêt ?
  • Comment se passaient vos vacances scolaires ?
  • Quelles ont été vos premières amours ?

Votre travail

  • Qu'elles ont été vos activités professionnelles, vos échecs, vos réussites ?
  • Quelle a été votre évolution professionnelle ? A-t-elle suivi un parcours linéaire ou bien avez-vous changé de métier, de région, etc. ?
  • Exercez-vous un métier rare ou disparu ?
  • Dans le cadre de votre travail, avez-vous développé des relations ou des amitiés particulières ?
  • Avez-vous créé votre propre affaire ?
  • Avez-vous mené des combats ?
  • Étiez-vous militants ou syndicalistes ?

Votre vie de famille

  • Instant tragique, moments heureux. La vie de famille réserve bien des surprises à tout un chacun. Que pouvez-vous dire des drames et bonheurs que vous avez traversés ?
  • Dans quelles conditions les faits se sont-ils déroulés ?
  • Dans quel environnement viviez-vous à cette époque, que pouvez-vous dire sur votre vie de couple ?
  • Sur vos enfants et votre famille en général ?

Votre santé

  • Avez-vous malheureusement eu quelques soucis de santé ?
  • Quelles sont les forces que vous avez retirées de vos combats ?
  • Avez-vous subi une opération chirurgicale, une greffe ?
  • Souhaitez-vous faire passer au lecteur un message d'espoir pour l'aider à vaincre les moments difficiles s'il doit être confronté un jour, à la maladie ?
  • Souhaitez-vous rendre hommage au personnel de santé, à vos proches, présents dans l'épreuve ?
  • Voulez-vous faire comprendre au lecteur que les malades n'ont pas besoin de pitié, mais de soutien ?
  • Aimeriez-vous changer le regard d'autrui sur les personnes souffrant de maladies ou porteuses de handicaps ?

Vos loisirs

  • Quels sont vos acteurs, films de référence, musiques préférées et pourquoi ?
  • Êtes-vous un passionné ?
  • Un amateur éclairé ?
  • Quels sont les sports que vous avez pratiqués ?
  • Consacrez-vous votre temps libre à une activité particulière comme les jeux de société, le jardinage, les activités manuelles ou artistiques… ?
  • Que vous apportent vos passe-temps ?
  • Aimez-vous voyager ?
  • Quelles ont été vos destinations et avez-vous des anecdotes à leur sujet ?

Votre vie associative

  • Avez-vous participé au fonctionnement d'une association ?
  • Avez-vous assuré un bénévolat ?
  • Êtes-vous sensible à certaines détresses, comme l'enfance malheureuse ou à certaines causes, comme le refus des organismes génétiquement modifiés pour l'alimentation ?
  • Menez-vous des combats pour faire bouger les mentalités ?
  • Avez-vous été présents sur le terrain ?
  • Confronté à des situations hors du commun ? Difficile à gérer ?
  • Vous épanouissez-vous au travers de votre vie associative ?

Vos convictions

  • Souhaitez-vous parler de vos convictions profondes que ce soit dans le domaine politique, religieux ou autre ?
  • Voulez-vous indiquer, expliquer votre philosophie de vie ?
  • Avez-vous l'âme d'un révolutionnaire ?
  • Pensez-vous qu'il faille se battre contre les idées reçues ?
  • Quels sont les messages que vous aimeriez transmettre à vos enfants, à vos petits-enfants, à autrui en général ?

Maintenant, vos souvenirs doivent être ravivés. Certains de ceux qui étaient égarés au fin fond de votre mémoire commencent à réapparaître. À l'aide de cette liste, vous parvenez plus facilement à retrouver les images d'antan par votre adaptation personnelle, des questions et des idées proposées.

Vous commencez à entrevoir les thèmes importants et vous allez laisser libre cours à votre mémoire pour, ensuite, faire le tri et sélectionner les étapes que vous souhaitez développer dans votre récit.

Tout d'abord, choisissez un endroit calme, isolé, loin du bruit. Munissez-vous de plusieurs feuilles de papier (ou d'un cahier [quoique moins pratique], car, vous ne savez pas à l'avance, le nombre de pages nécessaires à chaque rubrique) et commencez par y inscrire les grandes dates, les événements importants, les faits marquants, les personnes dont vous voulez parler, etc.

Consacrez une page (plusieurs, s'il s'agit d'un cahier) pour chaque sujet. Notez, en quelques lignes, vos premières idées s'y rapportant, sous forme de tirets ; ne cherchez pas à rédiger. Ne vous souciez ni du style ni de la grammaire, qui seront revus et corrigés dans un deuxième temps, mais concentrez-vous pleinement sur le recueil d'informations (qualité et quantité).

Ensuite, seul ou accompagné, feuilletez vos albums photos, relisez d’anciens courriers, visionnez vos vieux films de famille…

Peu à peu, réappropriez-vous tous les documents relatifs à votre passé. Vous verrez que c'est un support précieux pour la réapparition de souvenirs.

Les premiers thèmes révélés sur feuilles vont ainsi s'étayer. Notez des détails supplémentaires qui vous reviennent à l'esprit. N'hésitez pas à faire appel à vos proches pour évoquer votre passé, ils peuvent vous rappeler certaines choses oubliées et apporter des précisions.

Notez tout, il sera toujours temps plus tard de faire le tri. Le cas échéant, remplissez d'autres feuilles avec les thèmes que vous n'aurez pas encore abordés.

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La perspective d'écrire en détail l'histoire de sa vie depuis sa naissance a de quoi effrayer plus d’un : « il va me falloir noircir des centaines de pages pour tout raconter ! Je n'aurais jamais le temps ni le courage d'aller jusqu'au bout. Je préfère ne pas me lancer dans l'aventure plutôt que de commencer et d'abandonner en cours de route ! » D'autres personnes, par ailleurs, qui seraient tentées d'écrire l'histoire de leur vie, renoncent à le faire, à la perspective d'avoir à raconter certains épisodes dont le souvenir leur est insupportable : « remâcher tout ça va rouvrir d'anciennes blessures que j'ai eu bien du mal à faire cicatriser ! » S'il s'avérait qu'il est possible d'écrire certains éléments seulement de sa vie, ses objections disparaissent… Mais y aurait-il d'autres bonnes raisons, au contraire, de « tout dire », « absolument tout » ? La question est essentielle : il s'agit ainsi de choisir l'objet du texte : de quoi va-t-on parler ?

Description de l'expérience

Pour clarifier ce choix, nous vous proposons d'utiliser la technique de « prise de décision » la plus classique, à l'égard d'une option à prendre : tracer un tableau en deux colonnes et indiquer d'un côté les raisons de choisir le « oui », de l'autre celle de préférer le « non ». La décision ne découle pas mécaniquement, comme on l'imagine parfois, de la constatation que l'une des colonnes est plus remplie que l'autre. Il s'agit simplement d'éclairer le choix, en explicitant les arguments… même si finalement, ce ne sont pas eux qui emporteront la décision. Ici, les arguments sont déjà formulés et la liste n'a pas d'autre intérêt que de faire réagir le lecteur et de l'inviter à argumenter sa propre position.

Consignes

Lisez les douze arguments formulés ci-dessous, repérez-le ou les plus convaincants à vos yeux. En utilisant l'idée ou le texte lui-même, mentalement ou par écrit, démontrer le bien-fondé de la solution que vous allez adopter. Il n'est évidemment pas interdit de modifier la formulation des arguments présentés ou d'en inventer d'autres !

Application à votre projet

L'argumentation que vous aurez rédigée ainsi peut être intégrée telle quelle à l'introduction de votre texte. Elle oriente aussi l'ensemble de votre travail et vous sera fort utile, même si vous ne l'incluez pas dans votre récit.

Quelques arguments pour ou contre…

Il faut tout dire dans ses mémoires

Il ne faut pas tout dire dans ses mémoires

ŒC'est une question d'honnêteté : mentir par omission ou en transformant la réalité, quelle différence ?

’ D'abord, c'est impossible de tout dire : si un sexagénaire disait tout, absolument tout, sur les 60 ans de sa vie écoulée, le lecteur mettrait 60 ans à le lire !

 Notre vie est comme une machine compliquée : le moindre élément a une influence sur l'ensemble : si l'on dissimule ou transforme un détail, c'est le sens général qui s'en trouve altérée.

“ Il n'est pas souhaitable de tout dire dans ses mémoires : même si le texte ne doit être lu que par ses proches parents ou amis, il faut savoir respecter et faire respecter son intimité ; il y a des choses qui ne les regardent pas !

Ž Ce qu'on a envie de passer sous silence, c'est précisément ce qui nous serait le plus bénéfique d'exprimer : raconté un souvenir désagréable est le meilleur moyen de le « mettre à distance » et de l'empêcher de vous « pourrir la vie ».

” Un récit recompose toujours ce que l'on a vécu en mettant en ordre les éléments, en accentuant certains, en atténuant ou en éliminant d'autres. Dès lors qu'on écrit, on présente le réel à sa façon, et quelqu'un d'autre présenterait les choses autrement.

 Franchement, je ne voudrais pas qu'on me croie meilleur que je ne suis, si je dissimule les aspects les moins reluisants de mon existence !

• Il y a des choses qu'il vaut mieux oublier. Quand autrefois certains événements douloureux nous ont fait souffrir, il ne faut surtout pas raviver leurs souvenirs en les racontant.

 Tout ce que nous avons vécu à sa part dans ce que nous sommes aujourd'hui. On est bien obligé d'assumer ce qu'on n’a pas oublié.

    Des amis ou membres de la famille vont lire mes mémoires (ou risquent de les lire après ma mort). Je n'ai pas le droit de les troubler : quels avantages y aurait-il qu'eux aussi soient blessés ?

‘Raconter l'histoire de sa vie, c’est, à sa mesure, faire œuvre d'historien : il faut être aussi sincère que possible : où irait-on si les historiens se mettaient à mentir ou transformer la réalité ?

     Ne pas raconter certains éléments douloureux de sa vie, c'est d'une façon de les effacer et de reconstruire son existence, telle qu'on aurait voulu qu'elle soit : comme s'ils n'avaient pas eu lieu.

 Autres applications à votre projet : écrire partiellement ses mémoires, une histoire de vie sectorielle

On aura a repéré que le choix proposé par l'exercice demeure théorique : si pour quelque raison que ce soit, il vous paraît nécessaire de tout dire, il reste à s'interroger sur la façon d'exprimer les éléments les plus difficiles à présenter à autrui. Si, au contraire, la difficulté à présenter certains éléments de sa vie paraît insurmontable, on peut envisager une rédaction incomplète.

Notre vie peut se découper « dans le sens de la longueur » et « dans le sens de l'épaisseur » ! Dans le sens de la « longueur », le découpage est chronologique : d'abord l'enfance, puis l'adolescence, l'âge mûr, etc. - et l'on peut très bien décider à priori de ne raconter que l'une ou l'autre de ces périodes. (Exemple ci-dessous).

Mais dans chaque période de sa vie, on connaît plusieurs types d'expérience en même temps. Entre douze et quinze ans, par exemple, tel jeune garçon aura été en même temps (« dans le sens de l'épaisseur » !) - collégien, apprenti footballeur, fils modèle de sa mère veuve de guerre ; il aura connu ses premiers émois amoureux avec sa jeune voisine de palier, aura été le témoin des grandes grèves au lendemain de la guerre 1939-1945, etc. Autant de thèmes dont chacun pourrait être le sujet d'un chapitre de ses mémoires… ou de sa totalité. Pourquoi ne pas se contenter d'écrire l'histoire sportive, affective ou familiale de sa vie ? On trouvera quelques exemples ci-dessous pour éclairer cette perspective.

Quelques exemples « d'histoires de vies sectorielles »

« Vieux militant communiste, j'ai rédigé mes mémoires pour montrer à travers les épisodes de ma vie d'enfants du milieu populaire, d'apprentis puis ouvriers à la chaîne à l'usine Renault de Billancourt, que la société est, dans ses moindres détails, modelés par la lutte des classes. Toute ma vie ne prend de sens qu'en fonction de cette loi universelle. »

« Finalement, je ne vais raconter que l'histoire de mon enfance. J'ai commencé par là et j'ai trouvé un tel plaisir à retrouver ses souvenirs, que je vais continuer à savourer cette période-là plus belle de ma vie. Quand on a retrouvé la clé du paradis, pourquoi vouloir aller ailleurs ? »

« Je ne voudrais parler dans ses pages que de l'histoire de ma vie d'artiste : tout ce que j'ai vécu sous le regard de la beauté. De tout petits détails sont à cet égard d'une grande importance, alors que les événements majeurs, aux yeux du grand nombre, me paraissaient dérisoires ».

« Je ne vais narrer ici que ce qui a constitué ma vie professionnelle, comme si j'étais né le jour de mon entrée en apprentissage et mort en partant à la retraite…»

Source : Écrire l'histoire de sa vie. Michel Barlow. Édition Chronique Sociale (ISBN : 978-2-36717-164-7)

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Ce n’est pas une démarche neutre de raconter au fil des pages ses mémoires… Si certains y prennent plaisir, d’autres peuvent trouver l’exercice difficile et douloureux. Le récit pourra créer la surprise ou de la gêne chez les proches, qui ne comprendront peut-être pas, certaines révélations ; mais aussi susciter de l’admiration, de la tendresse et de l’affection pour l’auteur dans son cercle d’intimes.

En tout état de cause, quelle qu’ait été votre vie, quel que soit le regard que vous portez sur votre expérience personnelle, votre aventure, vos enthousiasmes ou vos douleurs, il y aura toujours quelqu’un pour y trouver de l’intérêt. Et peut-être qu’en vous relisant, vous vous découvrirez vous-même.

Dans cette partie, nous allons recenser quelques-unes des bonnes raisons qui peuvent amener quelqu’un à écrire ses mémoires. Nous allons aussi vous prouver que même, si vous n’avez jamais pris la plume de votre vie, vous aussi, vous pouvez vous lancer dans l’aventure. En un mot, nous allons démystifier les conditions de l’écriture. Nous vous apporterons aussi des méthodes très concrètes et des techniques d’écriture qui vous permettront de rédiger vos mémoires sans trop de difficulté…

récit de vie

De bonnes raisons d’écrire ses mémoires

Les raisons qui peuvent pousser une personne à écrire ses mémoires sont multiples. Certains accumulent secrètement des bribes de souvenirs depuis des années au fond d’un tiroir, et souhaitent en faire un récit construit, qu’ils pourront partager avec leurs proches. D’autres encore, prennent la plume un beau jour, poussés par une impulsion. Dans le simple fait de tracer au hasard quelques lignes sur le papier, ils commencent à récompenser leurs souvenirs.

Dans tous les cas, écrire ses mémoires sera pour vous une expérience extraordinaire au terme de laquelle vous éprouverez une immense fierté : celle d’offrir votre livre, aux êtres qui vous sont les plus chers.

Pour vous aider à éviter la terrible page blanche, qui ne le restera pas très longtemps, nous vous invitons à explorer les pistes qui vont suivre. Ces pages vous apporteront les clés pour réaliser votre projet d’écriture dans les meilleures conditions.

Écrire pour faire plaisir

Par où commencer mon histoire ? Vais-je savoir trouver les mots justes pour décrire mon expérience ? Mon histoire intéressera-t-elle vraiment quelqu’un ? La lira-t-on ?

Nous vous invitons à éloigner ces questions inutiles qui ne feront que retarder votre projet. Faites-vous d’abord plaisir, avant de penser à l’accueil que votre texte recevra. L’expérience le démontre en effet : le plaisir que vous éprouverez à écrire sera proportionnel à celui qu’on aura, en le lisant.

Ceux qui en ont fait l’expérience vous le diront : on éprouve une satisfaction intense à écrire, et un bonheur plus intense encore à se plonger dans ses souvenirs. L’écriture est un moment privilégié où l’on se consacre entièrement à soi.

Elle se pose comme une respiration dans le rythme effréné qui est souvent le nôtre.  En écrivant, nous nous libérons de nos tracas quotidiens, nous nous envolons, nous imaginons, nous rêvons. Par l’écriture, nous devenons enfin nous-mêmes, sans fard et sans artifice.

Écrire peut aussi se révéler hautement sensuel. O ! Glissement de la plume sur la page, odeur de l’encre se déversant suavement sur le papier, cliquetis des touches du clavier, crachotement de l’imprimante, silence envoûtant, lumière du jour naissant ou ambiance feutrée de la nuit ! O Réminiscence exquise ! Toutes les conditions sont réunies pour se mettre à écrire !

Écrire pour faire danser les mots

Vous goûterez sans doute, à travers l’écriture, le charme insensé de jouer avec la langue française, de construire des phrases, d’affuter votre sens du bon mot. Cela viendra naturellement. Ne cherchez pas à contraindre les mots. Laissez-les donc plutôt vous apprivoiser. Alors, votre style se révèlera. Le style est une manière personnelle de s’exprimer, que chacun porte en soi. Des mots, qui n’appartiennent qu’à vous, exprimeront au plus juste vos émissions. Ensuite, vous irez glaner des mots nouveaux dans les ouvrages de référence. Vous verrez : on se prend vite au jeu ! Il existe ainsi une quantité de dictionnaires qui vous aideront à étoffer votre style, du simple dictionnaire de synonymes, en passant par l’incontournable dictionnaire d’association de mots, qui propose une longue liste de verbes et des adjectifs que l’on peut employer avec un mot donné.

Écrire, c’est donner corps à sa pensée. Si vous regrettez d’avoir fait de la peine à une personne, allez-vous parler : de repentir ? De remords ? De regrets ? Vous sentez-vous confus ? Navré ? Désolé ? Attristé ? Bouleversé ? Désespéré ? Et, sans rougir, comment décrivez-vous votre premier baiser ? Qu’avez-vous ressenti ? Étiez-vous heureux ? Béat ? Comblé ? Enchanté ? Fier ? Euphorique ? Radieux ? Ravi ? Satisfait ? Triomphant ? En cherchant le mot juste, une foule de sentiments que vous n’avez pas ressentis depuis votre adolescence viennent certainement de se réveiller...

Écrire pour partager sa joie

Même si l’écriture est une aventure solitaire, elle est toujours associée à une volonté de communiquer. L’écriture sera le moyen de partager avec vos proches la joie ressentie dans les moments heureux, de raconter les épreuves difficiles qui vous ont grandi, de faire comprendre vos choix ou vos réactions, de faire vivre une époque. L’écriture peut devenir un but, qui donne envie de se lever le matin, dans l’attente de ce jour unique où vos proches découvriront enfin le roman de votre vie. Et lorsque votre récit sera passé de main en main, vous constaterez avec soulagement que l’entreprise n’a pas été vaine. Vous aurez l’heureuse surprise de recevoir autant, et même davantage, que ce que vous avez donné.

Chaque récit de vie est unique. De nombreuses existences remplies de joie, d’expériences positives, de réussites professionnelles ou d’aventures, et rien n’est plus beau, que d'en témoigner, pour transmettre aux nouvelles générations, ce souffle de vie.

Certaines personnes, par exemple, ont été amenées à vivre et à travailler plusieurs années dans un pays très éloigné. D’autres ont mené une vie d’aventurier solitaire jusqu’à un âge avancé, certains ont arpenté le monde en famille. De leur existence, ils gardent le souvenir d’étonnantes rencontres, de paysages extraordinaires, de mets inconnus. N’oublions pas ceux qui ont exercé une profession passionnante dont ils veulent témoigner, ceux qui ont soigné avec dévouement un grand nombre de patients, ceux qui ont enseigné devant une assemblée d’étudiants subjugués, ceux qui ont créé une association sportive, ceux qui ont collectionné les anciennes voitures, etc.

Écrire pour guérir les maux de l’existence

Et puis, il y a les personnes que nous croisons malheureusement sur la route, et dont nous découvrons, à nos dépens, la violence qu’ils sont capables d’infliger à leurs semblables ! Sans compter les catastrophes auxquelles chacun est, un jour ou l’autre, confronté : catastrophes naturelles, comme tsunamis, attentats, guerres civiles ou internationales, et, pour les moins jeunes, conflits mondiaux comme la Seconde Guerre mondiale. Nous ressentons alors qu’il est de notre responsabilité de témoigner de ces événements et de participer au devoir de mémoire. Grâce à nous, il y a peut-être une chance que les générations futures ne reproduisent pas les mêmes erreurs.

Le récit d’une vie peut aussi amener une personne à subir une épreuve douloureuse imposée par l’existence, telle qu’un deuil, une maladie grave ou une agression. Écrire peut parfois faire ressurgir des événements désagréables enfouis au plus profond de la mémoire, et réveiller des douleurs anciennes. Cette étape est parfois nécessaire pour accepter les expériences passées. Il faut continuer d’écrire, tranquillement, sans se mettre sous pression, peut-être après une petite pause pour reprendre son souffle. Le fait de poser des mots sur ce type d’expérience permet de guérir et aussi d’aider d’autres personnes à retrouver courage et volonté de vivre.

Si beaucoup de personnes écrivent pour partager leur bonheur avec leurs proches, d’autres relatent leur expérience pour l’exorciser, l’apprivoiser, la relire, la comprendre ou tourner la page. Dans tous les cas, vous ressortirez plus fort de cette expérience, car une fois que vous aurez trouvé les mots pour écrire votre vie, vous vous sentez soulager. La parole libérée…

La liste serait encore bien longue. Il ne tient qu’à vous de la compléter !

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Écrire sa vie n'est pas réservé aux écrivains ou aux célébrités. Tout autant que nous sommes, nous, les anonymes, nous avons aussi une histoire à raconter : la nôtre. Aucune trajectoire n'est plus importante qu'une autre, nul ne peut comparer leur valeur, car chacune est unique et donc précieuse.

S'il est vrai que certaines vies sont plus mouvementées et d'autres plus traditionnelles, elles ont chacune une valeur essentielle inestimable et intéressent aussi bien le cercle familial qu'autrui, dans le présent et l'avenir.

Vous estimez que votre ligne de vie a été extraordinaire ? Vous avez contribué à des bouleversements sociaux ou autres ?

Au contraire, il vous semble que votre histoire est banale, sans intérêt ? Vous avez suivi un chemin des plus classiques, sans grande surprise ?

N'ayez aucun complexe et aucun préjugé sur la valeur de votre récit. Que votre parcours soit linéaire, conventionnel ou agité, chaque témoignage est digne d'intérêt, remarquable et unique.

L'aventure d'une vie est faite de passions, de bonheurs inoubliables, de hasards, d'anecdotes, de crises, de drames, parfois. Autant d'événements qui méritent d'être inscrits d'une manière indélébile dans un patrimoine familial, pour, soit conserver, expliquer, transmettre son expérience, ou soit, pour laisser un message à ses proches, à ses enfants, à sa descendance, et même rayonner au-delà de la sphère privée.

Tous les témoignages sur les époques passées sont inestimables et précieux. Telles les pièces d'un gigantesque puzzle, ils construisent la mémoire de l'humanité.

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D'après Collès et Dufays, le récit de vie est un « genre protéiforme ». Le classement réalisé par ces deux auteurs, sur la base des catégorisations de Claude Abastado, Philippe Lejeune, Georges May et Yves Stalloni, est le suivant :

  • L'autobiographie traditionnelle,
  • L'autobiographie partielle,
  • L'autobiographie poétique,
  • Le journal intime,
  • Les mémoires,
  • L'autobiographie simulée,
  • Les chroniques,
  • Le roman autobiographique,
  • Les confidences épistolaires,
  • L'autoportrait et l'essai,
  • Les récits de vie oraux,
  • La transcription de témoignages oraux,
  • La biographie[1].

Afin de représenter au mieux la diversité des genres du récit de vie, voici « La roue de l’autobiographie », proposée dans l’ouvrage de Jacques Lecarme et d’Éliane Lecarme-Tabone[2].

la roue de l'autobiographie

[1]     Ces sous-genres sont explicités dans l’ouvrage "Le récit de vie", de Collès et Dufays aux pages 20 à 27. Ed. Hatier.

[2]     Idem. p. 61, L'autobiographie, Paris, Armand Colin.

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À l’origine de la démarche autobiographique raisonnée, il y a un « passeur de frontières », Henri Desroche. C’est ainsi qu’il se définit.

En 1959, H. Desroche, qui est alors directeur d’études à l’EPHE (École Pratique des Hautes Études), crée le Collège Coopératif de Paris qui forme des adultes dans le champ de la coopération et du développement. Ses étudiants ont plusieurs caractéristiques : ce sont des adultes qui ont au moins cinq ans d’expérience professionnelle ou sociale (par exemple en tant que bénévole ou militant) et ils viennent aussi bien d’Afrique, des pays du Maghreb, du Canada que d’Amérique du Sud.

Ils ont généralement entre 25 et 50 ans et ils possèdent une solide expérience de vie. S’ils s’engagent dans une reprise d’études universitaires, c’est à la fois pour obtenir un diplôme qui validera leur expérience mais aussi pour faire le point sur leur parcours et leurs engagements.

Pionnier de la formation des adultes, Desroche a en effet créé un cursus spécifique, le DHEPS (Diplôme des Hautes Études des Pratiques Sociales), qui comprend trois années d’études et permet d’obtenir un diplôme de niveau bac + 4.

S’adressant à des acteurs de terrain, Desroche a l’idée de proposer un cursus « à la carte », c’est-à-dire qui s’adapte au projet de l’apprenant à partir d’un socle commun de cours, en sciences sociales notamment. La validation du parcours de formation repose, non sur un examen final, mais sur la production d’un mémoire de recherche-action de 100 à 200 pages qui rend compte d’une recherche répondant à un questionnement personnel ou professionnel.

C’est dans ce cadre-là qu’Henri Desroche va élaborer l’autobiographie raisonnée qui constitue la matrice de la démarche autobiographique. Il s’agit pour lui, lorsqu’il rencontre un adulte demandant à entrer en formation, de cerner son expérience professionnelle et sociale et surtout de repérer ce qu’elle a de plus original. Dans les années 1960, au moment de la création du Collège Coopératif, il s’agit de quelques questions clés qu’il pose à la personne lors de la première rencontre :

  • De quel pays ou de quelle région êtes-vous ?
  • Quel était votre milieu familial ?
  • Quel cycle d’études avez-vous déjà suivi ?
  • À quels groupes associatifs avez-vous déjà appartenu ? Quelles activités dans ces groupes ? Militantes ? Économiques ? Sociales ? Éducatives ?
  • Quels voyages déjà ? De quelle durée ? Dans quelles conditions ?
  • Quelle activité professionnelle jusque-là ? Quels travaux de réflexion éventuellement autour de cette activité ?
  • Avez-vous déjà rédigé et/ou publié quelque chose ?
  • Quelles langues apprises et parlées ou/et écrites ? […]
  • Vers quel domaine ou quelle problématique s’ouvrent spontanément l’appétit et la curiosité ?
  • Quels projets d’avenir ? Projets culturels ? Projets professionnels ?
  • Quels échecs déjà encourus ? Frustrations culturelles ? Im passes professionnelles ?
  • Etc. (Desroche, 1971, 29-30).

Ce faisant, Desroche poursuit un double objectif : tout d’abord, ses préoccupations sont celles d’un professeur qui encadre des mémoires universitaires et qui cherche, dans l’expérience de son interlocuteur, les domaines où, sur le plan de la connaissance du champ social, celui-ci a quelque chose d’inédit et de singulier à apporter. Et d’autre part, il incite chaque étudiant, à travers cette exploration conjointe, à identifier les axes moteurs de son engagement personnel et social.

Ce n’est qu’en 1984 qu’Henri Desroche publie une première brochure sur cette pratique qu’il a affinée au fil des années et qui, à partir d’un entretien à peine formalisé, est devenue une méthode à part entière. La raison en est simple. Dans les années 1980, un nouveau domaine émerge, tant sur le plan universi­taire que dans le champ de la formation d’adultes, dans le travail social ou les pratiques d’orientation : c’est celui des histoires de vie. Dans le champ universitaire, l’utilisation des histoires de vie comme matériau de recherche n’est pas nouveau : c’est, au début du xxe siècle, pour ce qu’on appelle l’École de Chicago, une méthodologie essentielle pour comprendre le vécu de certaines catégories d’acteurs plus ou moins marginaux. Mais cette méthodologie jugée moins fiable que les approches statistiques, par exemple, est tombée en désuétude.

En 1983, Gaston Pineau, un universitaire français parti enseigner au Canada, publie un ouvrage, « Produire sa vie : autoformation et autobiographie », dans lequel il montre l’importance de la démarche autobiographique comme support de formation et de développement. Un an plus tard, Desroche qui voit sa méthode de plus en plus « récupérée » et plagiée se décide à publier un texte, « Théorie et pratique de l’autobiographie raisonnée » dans lequel il explique la genèse et les fondements de sa méthode.

Dans un objectif de formalisation et de simplifica­tion, Desroche propose une grille qui permet à la fois de recueillir les informations liées à la trajectoire de la personne et de les analyser. Il nomme cette grille « bioscopie » en référence à la « radioscopie » utilisée par les médecins pour appréhender la structure du corps humain. La bioscopie est composée de cinq colonnes : à gauche, la première colonne est celle des années puisque la recension des acquis et des expériences est chronologique. Les quatre colonnes restantes se répar­tissent en deux grands champs : à gauche, on trouve deux colonnes représentant le domaine des études : tout d’abord, la colonne dite des « études formelles », suivie de la colonne des « études non formelles ». À droite, le domaine des activités regroupe une colonne « activités professionnelles » qui est située la plus à droite, et une colonne « activités sociales ». Nous reviendrons dans le troisième chapitre sur la structure de ce schéma et sur la manière de l’utiliser.

C’est cette grille que nous utilisons comme support de base à la « démarche autobiographique ».

De l’autobiographie raisonnée à la démarche autobiographique et de la bioscopie à la grille expérientielle

Il me faut maintenant clarifier un point : même si je m’appuie explicitement sur l’œuvre de Desroche, j’ai été amené à utiliser, dans ma pratique d’accompagnement, une autre terminologie.

Tout d’abord, le terme « autobiographie raisonnée » qui, il faut le dire, est peu explicite lorsqu’on l’entend pour la première fois, donne souvent le sentiment qu’il s’agit d’un travail à dominante psychologique où il s’agirait avant tout d’investiguer le passé. Or, dans des formations collectives centrées sur la formalisation d’un projet professionnel et la réalisation d’un CV (curriculum vitae), par exemple, les participants n’ont aucune envie d’aller vers un travail analytique qu’ils n’auraient pas décidé et dont ils ne percevraient ni la pertinence ni l’intérêt au regard des objectifs poursuivis.

Or, comme la finalité de la démarche n’est pas de se centrer sur le passé mais de récapituler ses expériences pour identifier ses acquis et ses motivations profondes au service d’un projet, j’ai choisi d’utiliser le terme de « Grille expérientielle » pour mettre l’accent sur ce qui est visé, à savoir recueillir de manière factuelle les différentes étapes de la trajectoire.

Par ailleurs, ma propre connaissance des histoires de vie ne s’appuie pas seulement sur ma pratique de l’autobiographie raisonnée depuis mon entrée dans le DHEPS en 1989. Elle s’est nourrie également d’une formation au « Profil expérientiel » qui a été conçu par Jean-Luc Dumont et Marie-Claude Saint Pé dont j’ai suivi le séminaire en 1993. Le Profil expérientiel, qui est très complémentaire de l’autobiographie raisonnée tout en s’en distinguant, met l’accent sur l’importance en termes d’efficacité d’un projet ancré dans l’expérience de la personne.

Au final, si j’ai choisi de me référer au terme générique de « démarche autobiographique » plutôt que de reprendre l’expression « autobiographie raisonnée » sur laquelle elle s’appuie, c’est parce que j’y adjoins des perspectives différentes de ce que Desroche avait développé. Tout en mettant en avant ce qui lui est dû, je peux ainsi exprimer pleinement ce qui correspond à mon propre parcours.

Redécouvrir son capital expérientiel

Il est un autre terme que j’utilise régulièrement : c’est celui de « capital expérientiel ». Notre expérience est en effet le premier capital dont nous disposons, mais il ressemble souvent à un minerai brut dont on ne verrait que l’apparence grossière sans se douter qu’il contient des pierres précieuses et des ressources inexploitées.

L’objet de la démarche autobiographique est donc de transformer la trajectoire personnelle, professionnelle et sociale en un capital qui mettra à jour des potentia­lités disponibles, sources de nouveaux développements. C’est pourtant sur ce capital, non valorisé, que nous nous appuyons, jour après jour, pour tenter de nous accomplir dans tous les domaines de l’existence, que ce soit au travail, sur le plan affectif et relationnel, dans la poursuite d’un idéal ou tout simplement pour avoir le sentiment d’avoir trouvé sa place et d’être reconnu comme une personne unique, avec ses qualités et ses spécificités. Car tel est bien l’enjeu : donner du sens à son existence et s’orienter lorsqu’on se trouve à une nouvelle étape de sa vie ne peut se faire sans réaliser une cartographie du chemin parcouru et sans recenser la multiplicité des acquis quand l’apparente banalité des expériences contribue au contraire à recouvrir et à minimiser ce qu’il y a d’original et de significatif dans notre vécu.

Histoires de vie et formation

La démarche autobiographique est d’abord et avant tout une démarche d’auto-formation, même si, comme nous le verrons, la médiation d’une personne-ressource ou d’un groupe s’avère déterminante.

Parler d’auto-formation renvoie à deux dynamiques principales : dans la première acception, s’auto-former signifie, comme le souligne Gaston Pineau, « former son autos », c’est-à-dire sa capacité d’autonomie et son aptitude à prendre en main les rênes de sa propre existence. Par ailleurs, s’auto-former renvoie au fait de se former en définissant soi-même le contenu, le rythme et les modalités de la démarche d’apprentissage. Or, tel est bien le cas avec la démarche autobiographique : c’est la personne concernée qui rassemble les éléments de son expérience, c’est elle qui l’analyse au regard de ses propres critères et elle réalise ce travail au moment qui lui semble le plus opportun.

Comme nous l’avons évoqué, c’est dans les années 1970 que le courant des histoires de vie est apparu de manière aussi soudaine que décisive. On peut sans conteste relier cette émergence à l’évolution globale de la société et à la montée de l’individualisme. En contre-point à la perte d’influence des grands « intégrateurs sociaux » que sont la famille, l’école, le travail, la religion ou le politique, l’aspiration des individus à accéder à une plus grande autonomie n’a au contraire fait que croître et se développer.

C’est dans ce contexte que le travail sur l’histoire de vie apparaît comme une ressource majeure : comment construire un projet d’avenir réaliste sans s’appuyer sur les acquis du passé et sans tenir compte du chemin parcouru ? La formation des adultes, le travail social, l’orientation scolaire et professionnelle ont donc intégré différentes modalités ayant pour principale caractéristique d’inciter la personne à revisiter son histoire de vie et à en faire le support de son développement.

Pourtant la démarche autobiographique que je propose dans le sillage de Desroche se démarque fondamentalement de la plupart de ses interventions, et ce, au moins sur deux points : le premier, c’est que le travail autobiographique utilisé dans le cadre d’un bilan de compétences ou d’un dispositif d’outplacement est instrumenté et limité dans sa portée par le fait même que la démarche, dès le départ, est finalisée par le résultat à atteindre, ce qui conduit à privilégier certaines informations et situations et à en minimiser d’autres. Alors que la démarche autobiographique vise d’abord à rassembler, sans tri ni sélection, l’ensemble des expériences vécues par la personne, tant sur le plan des études, de la formation que des activités profession­nelles et sociales. C’est seulement une fois ce recueil fait que l’exploitation de ce matériau pourra commencer (nous présenterons dans les chapitres suivants différentes modalités d’utilisation de la Grille expérientielle).

La seconde différence, essentielle elle aussi, tient à la posture de la personne accompagnatrice. Dans le cas le plus fréquent, le conseiller intervient comme un « expert » du domaine (consultant, coach, conseiller en orientation, etc.). Au nom de cette compétence, la parole du « spécialiste » en vient à surpasser celle du bénéficiaire qui, d’ailleurs, la sollicite. Ce faisant, la personne se trouve dépossédée de l’exigence majeure qui lui incombe : celle de donner un sens à sa trajectoire et d’assumer la responsabilité de ses choix existentiels.

Cette nécessité n’est pas simplement une exigence morale visant à reconnaître à chacun une autonomie, que celle-ci soit envisagée d’un point de vue ontologique ou dans une perspective démocratique sous-tendue par l’exercice de la citoyenneté : c’est faire le constat que personne ne peut prendre dans ce domaine la place de quiconque, sauf à créer des interférences majeures, sources de frustration et de découragement.

Christophe Vandernotte, La démarche autobiographique, une voie d’accomplissement. Tirez le meilleur de votre expérience de vie.

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